Il fut un temps où nos fins de semaine automnales se résumaient à des visites aux pommes, à rester coincés sur les routes d’Oka, à faire plaisir à notre petite princesse pour Disney on Ice et à applaudir des chorégraphies très matinales dans des salles de réception lavalloises. Mais cette ère est révolue. Nous sommes maintenant des papas et mamans d’adolescents, ce qui veut dire qu’on passe nos soirées à jouer les chauffeurs Uber pour des lifts interminables, à entendre des références obscures à des Youtubers français qu’on ne comprend pas pantoute, et à se demander si l’enfant du milieu ira au cégep ou finira en DEP, sachant très bien qu’avec les prix des loyers et des maisons, ils ne sont pas près de quitter le foyer.
Et au fond, c’est peut-être ça, le nouveau deathcore adulte : un cri primal lancé depuis la banlieue, entre deux lunchs préparés le matin vers 5h38 et trois plans de pension alimentaire pour les gens divorcés. C’est dans cet état d’esprit que Despised Icon revient avec Shadow Work, un album qui prouve qu’on peut vieillir, devenir parent, et tout de même rester trop fort pour la scène.
Un retour plus solide que nos… genoux!
Shadow Work marque un moment de plénitude pour le sextuor québécois : une maturité assumée, mais sans la moindre perte de vigueur. La production est tranchante, les breakdowns sont d’une précision chirurgicale, et les vocaux alternés d’Alex Erian et Steve Marois demeurent ce mélange parfait de rage contrôlée et de démence pure. L’intensité n’a jamais paru aussi maîtrisée. Comme si, au lieu de crier contre le monde, Despised Icon criait depuis le monde dans lequel il vit aujourd’hui.
Les morceaux forts… mais avec glucosamine
Dès Shadow Work, le groupe installe le ton : une atmosphère dense, des lignes rythmiques mécaniques et un sentiment d’urgence presque claustrophobique. La pièce titre agit comme une déclaration de mission: Despised Icon ne cherche pas à être racoleur, mais plutôt à rappeler qu’ils sont les architectes d’un genre qu’ils dominent encore.
Puis vient Over My Dead Body, qui aurait pu, avec un brin d’autodérision, s’appeler Over My Dad Body. L’humour n’est pas loin, mais la chanson, elle, frappe fort : c’est une charge sonore implacable, teintée de nostalgie pour les années de tournée sans sommeil et les blessures de mosh pit. Ça grafigne dès le début, petite roulade sur la guitare et une grosse ligne de guitare bien balourde qui se laisse englober par des Kwikwikwi! de Marois.
Omen of Misfortune prolonge cette noirceur avec une précision rythmique quasi militaire. Les grognements s’entrechoquent comme des marteaux sur l’enclume, et le morceau trouve son équilibre entre technique et brutalité brute, un art que peu maîtrisent encore à ce niveau.
Contrecoeur, chantée en français sivouplê, mérite une mention spéciale car elle résonne comme une lettre adressée à la scène locale, un clin d’œil à leurs racines et à la fierté d’être toujours là, malgré tout. C’est un Despised Icon plus ancré, diablement convaincant et ce, en une minute et demie.

Les autres pièces que sont Corpse Pose, Reaper, Death of an Artist et Obsessive Compulsive Disaster démontrent chacune une facette du groupe : tantôt technique, tantôt viscérale, mais toujours efficace. Corpse Pose canalise une agressivité presque punk dans sa structure, tandis que Death of an Artist évoque la virulence dans sa proposition.
Sur In Memoriam, l’entrée se fait en catimini et par la suite, c’est très vaseux et opaque. Des lignes de claviers de l’artiste Misstiq enlignent cette pièce en mode hantise avec des spasmes plutôt lugubres. Comme « voix invitée » sur celle-ci, je croyais que c’était Niklas Karlsson d’Orbit Culture qui offrait son grain vocal digne de James Hetfield mais non! C’est plutôt Alex Erian qui utilise une autre facette de sa gorge versatile!
Un deathcore… de paternité assumée
Au final, Shadow Work n’est pas seulement un retour : c’est une affirmation. Oui, Despised Icon est composé de papas, de travailleurs, de gars qui connaissent la vie adulte et ses concessions. Mais derrière les couches de responsabilités et les soupers familiaux, il reste cette flamme brute, ce besoin d’exploser qui les habite depuis leurs débuts et aussi une bière à l’effigie de cet album, brassée par Messorem!
Shadow Work est un album de maturité sans mollesse, de colère lucide, un témoignage que la brutalité peut vieillir avec élégance, ou plutôt, avec la hargne qu’on réserve aux horaires trop chargés et aux factures du dentiste à payer en cette fin de mois.
Despised Icon ne cherche pas à plaire. Les membres du groupe québécois continuent simplement de faire ce qu’ils font mieux que quiconque : frapper fort, sans concession, et rappeler à tout le monde que le deathcore vient encore de Montréal.
Disponible le 31 octobre sur Nuclear Blast Records.
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Photo : Eric Sanchez