Il existe des univers entiers qui se construisent autour d’une simple ligne de guitare, bien ordinaire. Pensez à AC/DC. Le groupe a bâti sa carrière sur la simplicité de quelques lignes de guitares. That’s it! Dans mon cas, c’est même plus que ça : toute ma vie sociale et amicale repose sur le metal. Pas en métaphore, pas en exagération humoristique. Littéralement. Sans cette musique, je serais peut-être resté ce gamin de neuf ans, palettes en avant qui jouait au hockey sans lever la tête et qui faisait du BMX comme s’il fuyait quelque chose d’invisible qui roulait derrière lui. Probablement la Jeep de Destro…

Mais c’est à cet âge précis, en short de coton trop courts, genoux écorchés car j’étais tombé trop souvent sur le bitume de la rue Gosselin que j’ai entendu pour la première fois Judas Priest, Iron Maiden, Metallica et Mötley Crüe. Pas dans un contexte onirique ou mystique : non, dans la cour arrière, chez Eric Tremblay, sur un radiocassette de l’époque de marque Citizen dont les haut-parleurs bourdonnaient comme un maringouin sous l’effet de la mescaline. Et pourtant, ma vie entière venait de basculer.

Il ne m’a pas fallu deux écoutes pour comprendre que ces groupes deviendraient mes alliés, mes porte-voix, et surtout… mes premiers amis par procuration. Parce que dans la vraie vie, les vraies personnes me faisaient un peu peur. Mais dire, entre deux bouchées poudreuses de FunDip : « As-tu déjà écouté Defenders of the Faith? Surtout Rock Hard Ride Free? »

C’était comme lancer un filet dans l’océan social. Et quand quelqu’un répondait oui, l’amitié se formait plus vite que le solo de Aces High de Dave Murray. Sauf qu’on n’attrapait pas du poisson dans ce filet, c’était plutôt un potentiel de nouvel/le ami/e qu’on ramenait à la barque.

À l’école primaire, le metal n’était pas juste une passion. C’était mon langage. Pendant que d’autres jouaient avec des GoBots (moi, j’étais plus Transformers) ou échangeaient des cartes de Garbage Pail Kids (moi, c’était le hockey), je fabriquais des guitares en carton avec mes chums Eric Tremblay et Pascal Langlois pour faire des spectacles derrière chez nous. Nos guitares étaient plus courtes que les manches de Mick Mars, nos solos étaient silencieux, mais notre conviction aurait fait pleurer un prêtre, sentant que la jeunesse dérivait vers l’autre côté du mur religieux. Ironiquement, je chantais du Mötley Crüe sans comprendre que leurs paroles parlaient moins de romantisme et davantage d’activités… adultes.

Disons que Too Young To Fall in Love m’échappait encore au niveau du sens, complètement. L’innocence, c’est beau et ça me fait rire, quarante ans plus tard.

Au secondaire, la vie devient un champ de mines disons, hormonales. Les cliques, les clans, les groupes, les gangs… c’est la jungle! Mais heureusement, il existe un signe distinctif, un phare lumineux dans la tempête : le t-shirt de metal.

Voir quelqu’un porter un chandail de Possessed, Slayer, Anthrax ou Megadeth, c’était comme reconnaître un membre caché de ta famille. Un cousin qui ne se présente qu’une fois par année, genre à Noël. Il y avait cette loi non écrite : si on porte le même groupe sur un t-shirt, on se doit au minimum une conversation de deux minutes. Parfois quinze minutes qui finissaient souvent en : « Ouais, c’est pas mon préféré cet album là mais, joues-tu d’un instrument? On devrait se partir un groupe! »

Le lendemain, on répétait dans le sous-sol chez Daniel Bouchard qui sentait la bière tiède, le tapis humide (Daniel crachait sur le tapis chez lui, réflexe de batteur?) et l’ambition mal contrôlée. Les voisins détestaient ça, mais nos amis nous adoraient ou du moins, ils venaient quêter des gorgées de nos Black Label et hocher de la tête en prétendant reconnaître nos reprises approximatives de Troops of Doom de Sepultura ou C.F.C de Cancer.

Arriva ensuite la fin du secondaire et le début du cégep, cette époque bénie où l’on croit encore qu’on va révolutionner le monde du metal avec trois riffs, deux accords et une volonté inébranlable de sonner plus tight que la veille. On composait, on discutait, on rêvait. Et surtout, on vivait pour les autobus nolisés pleins à craquer de métalleux excités, direction Québec ou Montréal.

C’était une tradition sacrée : partir tôt, manquer de l’école, revenir tard, et perdre quelques années de longévité pulmonaire dans le processus parce que dans ce temps-là, ça fumait dans les véhicules. Les shows se suivaient, les amitiés se cimentaient, les gueules de bois devenaient des légendes. Seek & Destroy accompagnait nos retours, chanté par un chœur de voix cassées, amplement muées et plutôt fausses, mais sincères.

Puis, la vie adulte, après l’université. Les loyers, le travail, les responsabilités. Le premier appartement devient le second. La rencontre avec une fille qui devient la copine, la blonde, l’amoureuse, la fiancée et ensuite, on aménage ensemble.

Voiture, emplois, voyages qui se dirigent vers les enfants, les courses à faire. Tu vieillis d’abord en douce, puis d’un coup; tu réalises que ton dos n’est plus d’accord avec tes mouvements, et que tes genoux te disent poliment : « Le pit, c’est fini pour toi, mon grand! »

Avec un groupe depuis quelques années, tu délaisses le projet car le temps te manque, l’inspiration te manque et le repos du dimanche s’impose.

Tu as regardé la scène metal ralentir au début des années 90 avec l’arrivée du grunge mais tu as compris rapidement qu’elle n’est jamais vraiment morte. Elle attendait simplement son heure, parce que vingt/trente ans plus tard, tous les groupes de ton adolescence se sont reformés. Comme si l’univers avait décidé de te donner un dernier cadeau nostalgique avant que tu ne deviennes officiellement trop vieux pour veiller tard.

Le plus beau dans tout ça, c’est que les amis sont restés. Tous. Peut-être pas chaque semaine, peut-être pas même chaque mois, mais toujours au bon moment : pour un show (en autant que ce soit un vendredi ou un samedi sauf si c’est Maiden), pour une bière (faut que ce soit avant 18h parce que la plus grande a une pratique à soir), pour une conversation sérieuse sur la meilleure époque de Metallica, et pourquoi la mauvaise réponse commence par St-Anger et Lulu, c’était quoi ça, crisse?

Mais le fait d’avoir un emploi plus stable et qui te met plus d’argent dans tes poches permet aussi des extravagances. D’avoir un partenaire comme Luc Beaulieu, toujours frais et dispos pour des périples à Hartford, Ottawa, Toronto, au Vermont, au New Jersey et même en Angleterre permet de garder la flamme encore plus ardente et solidifier l’amitié, le temps d’un périple métallique et toujours, bien houblonné. 

Et voilà que la roue tourne une fois de plus. Tes enfants, maintenant des ados, veulent eux aussi aller en avant, dans le pit. Ils te tirent par la manche au concert d’Amon Amarth : « Papa, viens, t’as juste à me suivre ! »

Toi, tu ris. Tu souffres un peu intérieurement et tu dis : « Je pense qu’on est assez proche, non? On voit bien d’ici et le son sera bon. » Et moi, je me tiens derrière lui, clutchant ma bière en canette comme un reliquaire, me disant que le serpent se mord la queue. Je deviens l’adulte sage, eux deviennent les rebelles excités, et l’histoire recommence, parfaite et bruyante.

Et l’ado de 15 ans te dit : « Bin non, encore. Enweye! » Tu te souviens qu’à cet âge, tu suintais dans le pit lors du passage de Slayer à l’Auditorium de Verdun, cette boucherie à aire ouverte.

Ainsi, tu comprends la boucle parfaite du destin : Ce n’est plus le petit garçon qui avait peur des papillons ou la gamine qui marchait avec des souliers talons hauts trop grands. Ils deviennent toi et le metal (ou tout autre style musical rendu ici) continue de circuler comme un courant électrique intergénérationnel.

La boucle est bouclée…

Quand j’y pense, tout ce que j’ai vécu, tous les amis que j’ai eus, toutes les nuits folles, tous les shows en mode aller-retour avec Alexandre Beaumont au volant de son auto bleue, toutes les bières dans les autobus avec Pierre D’Aragon, tous les rires, toutes les blessures mystérieuses du lendemain matin…

Tout vient du metal.

Tout vient de cette ligne de guitare de Quiet Riot, de la langue de Gene Simmons de KISS, de ces guitares-carton de mon enfance, de ce premier « Yeah, beau t-shirt de Voïvod! Étais-tu au show cet été?” alors en secondaire 1 à Laure-Conan.

En regardant tout ça, toutes les rues de la Côte Réserve, les BMX, les t-shirts, les locaux de pratiques, les bières tièdes, les shows, les autobus, les nuits blanches, les rires, les gueules de bois, les amitiés solides comme du béton armé; je réalise une vérité plutôt simple : Le metal ne m’a pas juste donné une bande sonore que j’écoute au quotidien.

Il m’a donné des frères, des sœurs, des compagnons de route. Sans le metal, je n’aurais peut-être jamais trouvé ma place.

Sans le metal, je n’aurais jamais eu cette tribu.
Sans le metal… je n’aurais jamais eu d’amis.

Et sans ces amis, je n’aurais jamais eu cette vie qui se veut imparfaite, bruyante mais magnifique!