Officiellement, Enslaved n’est pas en tournée en Amérique pour leur album Heimdal. Le groupe norvégien nous avait déjà visités avec Omnium Gatherum et Insomnium. Quand tu regardes derrière leur t-shirt officiel, il n’y a que trois dates inscrites en grosses lettres, question de maximiser l’espace. Effectivement, Enslaved devait profiter de leur visite en Amérique pour le Milwaukee Metal Fest en faisant quelques dates ici et là, pour que le tout soit rentable. D’avoir Montréal en guise de point de départ, c’est tout un honneur d’avoir cet arrêt exclusif et je me devais d’en profiter.

C’est ce que j’ai fait, en ce lundi et qui dit lundi, dit journée boboche…C’est le début de la semaine, retour au travail et il faut se fouetter les fesses pour que l’énergie se retrouve au top niveau, café en mode 4e tasse et bonne humeur au visage, on travaille fort! Avec la cinquantaine entamée depuis quelques mois, je confirme, une fois de plus, que l’heure pour ramper vers le lit se retrouve beaucoup plus vers le 21h, heure à laquelle le groupe principal monte sur scène.

Je savais que la soirée allait débuter à 20h, ce qui confirme que c’est près de mon heure de tombée pour la nuit. Debout depuis très tôt le matin, j’ai pris la décision que j’allais quitter le travail vers 15h30 pour aller faire un petit roupillon d’avant concert. Un vrai bonhomme, me direz-vous? Et je le confirme!

Fin de la cocotte vers 17h30, je me suis enfilé un sandwich, jasé avec la famille pour prendre la route. Je me suis retrouvé au Corona/Beanfield vers 19h15, avec une entrée plutôt facile compte tenu qu’il n’y avait aucune file devant le théâtre. Est-ce que ce concert serait tranquille à ce point? C’est difficile à dire mais en même temps, le mois de mai se veut intense en ce qui concerne le nombre de spectacles disponibles pour le métalleux et la métalleuse.  

Sur place, je rencontre tout de suite Martin, qui est aux photos, et je fais connaissance de Maryline et de Phil. On jase un brin, on échange quelques lignes et on se dirige vers la salle pour voir que quelques curieux sont déjà sur place mais rien d’extravagant. Aux comptoirs d’items promotionnels, il y a beaucoup plus de gens qui attendent pour un achat chez Spectral Wound que chez Enslaved. Fait intéressant, Spectral Wound n’avait pas à accoter les prix des Norvégiens, ce qui fait que les vinyles étaient à 25$ et les t-shirts à 30$, et ceci se veut très abordable.

Le temps d’agripper une Chipie de chez Archibald, nous continuons la jasette jusqu’à ce que Martin aille prendre place dans la fosse à photographes. Je vais rejoindre un autre Martin mais je décide de me rendre plus près de la scène, étant donné que la foule n’est aucunement compactée. C’est sur une piste sonore qui laissait entendre des passages angoissants que le groupe montréalais qu’est Spectral Wound s’est pointé sur scène, chaque musicien avec deux-trois cannettes de Bud chacun.

De retour au pays depuis quelques jours, le groupe était en tournée avec Lamp of Murmuur. Nous avons pu constater que Spectral Wound avait le feu au bout des doigts, l’expérience de la route et le désir de proposer une sonorité décadente se voulait palpable. Chaque musicien était bien emmitouflé dans sa battle vest, à l’exception du chanteur qui privilégie le veston de cuir et les gants qui vont avec. C’est excessivement perfide avec Fevers and Suffering, nous sommes sur place pour… souffrir! La balance de son se place, la sonorité n’est pas encore tonitruante et la foule est en mode écoute.

Nous sommes captifs…

Spectral Wound est précis dans son metal noirci, nous pouvons ressentir l’impact de la dernière tournée qui a soudé la performance du groupe. Les musiciens sont bien concentrés sur leur instrument, les percussions sont fluides et rapides et les caboches se brassent sur Aristocratic Suicidal Black Metal et Frigid and Spellbound. À la basse, Sam vrombit sur son instrument et vient puncher aux voix, question de maximiser l’impact serpentaire de Jonah, qui a des airs d’un Rimbaud qui aurait été fraichement déterré…

Gants de cuir et bouteille d’absinthe à la main, ce dernier s’y abreuve et lance son venin avec puissance lors de Less and Less Human, O Savage Spirit, tandis que la foule commence à bouger un tantinet. L’effet nouveauté maintenant dissipé, les participants s’activent un peu plus sur les cadences sombres de la formation montréalaise, ce qui se matérialise encore plus avec A Coin Upon the Tongue et sur Twelve Moons in Hell.    

Si Patrick Lagacé chialait sur la présence des artistes en ouverture de soirée, personne ne pouvait se plaindre de la performance de Spectral Wound, qui a confirmé sa réputation comme machine d’annihilation métallique. C’était très destructif!

Le pavillon grisâtre arborant le E majuscule identifiant Enslaved a été hissé, annonçant les préparations face à la venue des Norvégiens sur scène. Comme je vous le disais, le groupe n’est pas en tournée mais ce groupe est une machine déjà bien huilée. Bière en main, je m’installe pour accueillir la sonorité de cette formation que j’apprécie depuis des décennies.

La musique de Clockwork Orange joue tandis que les lumières se tamisent. Étant donné qu’Enslaved n’est pas en tournée officiellement pour leur dernier album qu’est Heimdal, je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre de ma soirée et je suis plutôt surpris d’entendre Ethica Odini, qui provient de l’album Axioma Ethica Odini, ouvrir la soirée. Je m’imbibe de ce metal noirci progressif, et c’est d’une efficacité redoutable, comme je m’y attendais. Grutle grogne à merveille, Icedale est encore en bédaine avec son corps magnifiquement ciselé et Ivar, avec l’âge, ressemble de plus en plus à Olaf Grassebaf, le chef dans Astérix et les Normands.

En arrière, le batteur Iver Sandøy tape sur les peaux et tout semble aisé pour lui, même constat pour le jeune claviériste Håkon Vinje, ce qui confirme l’alchimie qui règne dans ce groupe car en plus de la maitrise des instruments, tout le monde (sauf Icedale) prête sa voix dans Enslaved. Ensuite, Homebound et Kingdom se sont succédées et comme de raison, Grutle nous a laissé entendre ses plus beaux sacres québécois qu’il maitrise encore, à la perfection!

La foule se voulait captive beaucoup plus que participative et ce, avec raison. Avec des titres comme Ruun et Forest Dweller, nous sommes beaucoup plus contemplatifs face au travail des musiciens, regardant la technicité en œuvre en plus de confirmer la complicité qui se déroule devant nos yeux. Grutle confirme que Montréal a une place très grande dans son cœur, leur premier concert canadien ayant eu lieu dans la métropole, en ’95.

Ivar demande qui était présent lors de cette soirée et il n’y a que Martin (aux photos) qui lève la main! Enslaved poursuit avec Jotunblood, morceau qui provient justement de cette époque qu’est l’album Frost et avec une sonorité plus crue, ce qui amène les participants à se dérouiller un brin. Toujours excessivement volubile, Grutle raconte que le batteur s’est arrêté longuement dans un restaurant de poutine et que tel gars dans la foule ressemble à Michel Pagliaro. Les références d’ici? Il les connait!

Le tout retombe en mode plus progressif noirci et cosmique avec The Dead Stare. Par contre, lorsque nous voyons que Grutle dépose sa basse, nous savons que ce sera pour l’interprétation de Havenless. Morceau massif du répertoire, ce chant plutôt vikingesque est un véritable moment de communion. Bras en l’air en forme de Y, le bass drum nous entre dans la poitrine et on chante avec les musiciens ne sachant aucunement les paroles.

Après Fenris et Heimdal, les musiciens sont sortis le temps de prendre une lampée d’hydromel et sont revenus sur scène. Grutle a pris le temps de présenter les musiciens tout en rappelant qu’il avait fondé le groupe avec Ivar, il y a de cela des décennies tandis que pour le claviériste Håkon Vinje, le jeunot du groupe, n’avait qu’un an lorsque le groupe est né! Et c’est le batteur Iver Sandøy qui a présenté Grutle, tout en précisant qu’il était le maître de cérémonie de tout ce cirque, et il était fier de le nommer : Guy Laliberté!

Vraiment, les membres d’Enslaved connaissent bien leur Québec, pas de doute là-dessus (même quelques mots sur Voïvod) en plus de savoir choisir une liste de chansons de manière plus que convenable car lors du rappel, nous avons eu droit à la plus qu’épineuse Allfǫðr Oðinn et l’incroyable Isa, avec sa cadence plus qu’invitante à la ronde, tout en dansant comme des farfadets, hurlant des « ISA » à l’unisson avec Grutle, lors des refrains.  

En relation avec le côté non-officiel de ce concert, d’avoir eu cette série de chansons pigées dans le catalogue d’Enslaved, le tout a confirmé l’importance de notre présence au Théâtre Corona Beanfield, lundi soir.

Et un show du lundi soir, ce n’est pas évident… sauf lorsque Spectral Wound et Enslaved te le rendent encore plus enivrant!

Photos : Martin Desbois