Comme plusieurs d’entre vous, j’ai profité avec beaucoup d’enthousiasme de la reprise tant attendue des shows métal. Armée de mes bouchons, je me suis empressée de manifester mon amour pour mon style musical de prédilection à de nombreuses reprises au cours des dernières semaines. Toutefois, à chaque show, je ne manque pas de remarquer que plusieurs fans choisissent de ne pas protéger leurs oreilles… J’en entends déjà penser : « Des bouchons, c’est poche! Moi j’en porte jamais. C’est pas « métal » ». Avant de vous énumérer les raisons qui font que c’est super important de porter des bouchons lors d’un show ou d’une répétition, laissez-moi vous raconter mon histoire.

Il y a environ 12 ans, lors d’une répétition avec un groupe de musique métal, j’ai choisi de ne pas porter mes fameux bouchons jaunes de type industriel. Dès la fin de la répétition, j’ai tout de suite senti que quelque chose n’allait pas : j’avais des acouphènes très forts dans les deux oreilles et la sensation que ces dernières étaient bouchées. Après plusieurs jours d’inquiétude et d’inconfort, je décide d’aller consulter le médecin, qui me recommande de reposer mes oreilles pendant quelque temps. À l’approche de mon examen de fin de baccalauréat en chant classique, je ne savais pas trop comment faire… On peut toujours se fermer les yeux pour les reposer, mais on ne peut pas « arrêter » d’entendre ni contrôler totalement son environnement.

Après quelques semaines, sentant que mes acouphènes étaient beaucoup moins prononcés, j’ai décidé d’aller à un show métal et de reprendre mes répétitions, munie cette fois de mes fameux bouchons jaunes. Malheureusement, les acouphènes se sont intensifiés et un autre symptôme est apparu graduellement : j’ai commencé à ressentir une douleur vive — comme si mes tympans explosaient — lorsque j’entendais certains sons de hautes fréquences (bruits de vaisselle, klaxons, cris).

À partir de cet instant, je suis devenue très anxieuse et j’ai décidé de ne retourner à aucune autre répétition avant d’être totalement rétablie – ce qui n’est jamais arrivé. Mes premières recherches sur le sujet semblaient indiquer que je souffrais d’hyperacousie, un dysfonctionnement de l’audition qui se caractérise par une hypersensibilité à certains sons de la vie quotidienne, et qui touche 2 % de la population (Baguley, 2007).

La souffrance et l’anxiété

Commence alors une période très difficile qui s’échelonne sur plusieurs semaines, et que j’ai encore aujourd’hui beaucoup de peine à me remémorer.

Tous les sons sont devenus rapidement intolérables : du stylo qui tombe sur le plancher, au son des touches du clavier d’ordinateur. Non seulement ces bruits me causaient une vive douleur, mais j’étais maintenant complètement angoissée à l’idée de les entendre à nouveau : j’étais certaine que mes oreilles se détérioraient un peu plus à chaque son que j’entendais. Mais qu’en est-il de la musique? Puisque je n’arrivais plus à chanter ou jouer du piano sans ressentir de la douleur, j’ai dû me résoudre à abandonner ma session et mon récital de fin de baccalauréat. Ce fut le premier deuil d’une longue série. J’ai également commencé à m’isoler socialement en évitant toutes les sorties (restaurant, cinéma, concert), puisqu’elles représentaient pour moi une source d’anxiété grandissante.

Au cours des mois suivants, les nombreux audiologistes que j’ai rencontrés m’ont confirmé le fruit de mes premières recherches sur le sujet : je souffrais effectivement d’hyperacousie sévère. Ils m’ont expliqué que la douleur ressentie est causée par un dysfonctionnement du tenseur du tympan, muscle de l’oreille moyenne qui permet d’amoindrir les sons, et ainsi d’éviter de blesser l’oreille interne. À la suite d’un choc acoustique et d’une grande nervosité associée aux sons, le tenseur du tympan devient très réactif, ce qui cause un spasme dans l’oreille.

L’oreille moyenne: 1) tympan, 2) osselets, 3) trompe d’eustache, 4) tenseur de tympan.
License Creative Commons

Ces spécialistes m’ont précisé que ces spasmes ne sont pas dangereux en soi, mais qu’ils causent beaucoup d’anxiété. Ils m’ont tous prescrit des traitements spécifiques visant à désensibiliser mes oreilles tout en recalibrant mon système auditif. Malheureusement, aucun de ces traitements n’a fonctionné. Ni l’hypnose, ni l’acupuncture, ni l’ostéopathie, ni la naturopathie. J’ai dû apprendre à vivre avec mes oreilles défectueuses.

Les préjugés ont la vie dure

Puisque aucune expérience de vie n’est totalement négative, j’ai utilisé mes nombreuses lectures sur le sujet pour sensibiliser les musiciens autour de moi, et aussi les admirateurs de métal! Voici donc une série de préjugés qu’on entend souvent en lien avec l’audition, et quelques réponses, qui je l’espère, vous éclairerons.

« Plus on s’expose à des sons forts, plus on devient tolérant »

Faux. Ce n’est malheureusement pas comme ça que ça fonctionne. En effet, l’oreille interne est tapissée de milliers de petits cils (les cellules ciliées), super fragiles, qui oscillent lorsqu’ils perçoivent des sons. Ces cellules ne peuvent pas se régénérer. Donc, plus on est exposé à des niveaux sonores élevés pendant longtemps, plus on risque détruire ces cellules de manière permanente.

L’oreille interne: cellules ciliées saines (gauche) cellules ciliées endommagées (droite). Réutilisation permise.
http://www.dangerousdecibels.org /education/information-center/.) 

« J’aime ça le metal! Comment une musique que j’aime pourrait me blesser?! »

Croyez-le ou non, notre système auditif n’a pas de préférence musicale! Que ça soit une machine industrielle, de la musique classique ou du bon vieux métal, quand on en écoute trop longtemps, trop fort, on se blesse.

« Tous les métalleux ont des acouphènes! C’est le prix à payer pour notre passion ».

Yeah right. L’ennui avec ce raisonnement, c’est 1) il n’y a pas juste les acouphènes qui peuvent se développer et 2) avoir des problèmes auditifs te pourri la vie à un tel point qu’aucune passion ne peut justifier cette perte. Laissez-moi développer tout ça :

  1. C’est loin de seulement être les acouphènes qui se développent lorsqu’il y a une atteinte aux cellules ciliées! Plusieurs autres symptômes peuvent survenir. En plus de l’hyperacousie, il y a la surdité, la diplacousie (lorsqu’on entend un bruit dédoublé) ou encore la distorsion (lorsque le son qu’on entend paraît saturé). Et ça, c’est sans compter le fait qu’on peut développer plusieurs symptômes à la fois! *Joie*.
  2. Le handicap physique occasionné par les problèmes auditifs n’est que la pointe de l’iceberg. En effet, le système auditif central est lié au système nerveux autonome et au système limbique. Donc, lorsqu’un son est analysé par ces deux systèmes comme désagréable ou dangereux, tout le corps réagit à cette menace. Imaginez que vous entendez un lion rugir derrière vous. La peur générée par cette menace va permettre de mobiliser votre corps tout entier pour fuir la menace. Maintenant, imaginez que votre cerveau analyse un son X (un acouphène, un cri, un jappement) de la même manière que s’il s’agissait d’un rugissement de lion… et que ce son peut survenir plusieurs fois par jour? Vous seriez sans aucun doute dans un état d’anxiété et de panique continuel, en plus d’être drainé physiquement. Mais ça ne s’arrête pas là. Imaginez maintenant que vous réagissez si souvent aux bruits de votre environnement de manière disproportionnée que l’écoute du son lui-même n’est plus nécessaire pour vous faire ressentir de la douleur. Ça s’appelle le réflexe de conditionnement. En effet, si chaque manifestation du stimulus est liée à un niveau élevé de stress émotionnel, un réflexe de conditionnement se produit dans le but de répondre à la réaction d’alerte envoyée par le système limbique et le système nerveux autonome. Comme ces deux systèmes s’échangent constamment de l’information, une connotation négative à un son peut s’installer assez rapidement (Jastreboff, 2008). Cela explique pourquoi les conséquences psychologiques demeurent si invalidantes : isolement social (resto, show et cinéma deviennent de véritables défis), détresse psychologique, dépression, réorientation de carrière… J’ai vécu toutes ces étapes. C’est loin d’être une partie de plaisir.

« Quand c’est moins fort, c’est moins l’fun »

Écouter la musique trop forte ne la rend pas meilleure. Au contraire, on finit par fatiguer l’oreille plus rapidement et à moins apprécier les détails musicaux.

Utiliser les bons bouchons demeure aussi un enjeu important. C’est certain que le son est très mauvais lorsqu’on utilise les fameux bouchons jaunes industriels lors des shows ou des répétitions.

Bouchons de type industriel; license creative commons
Bouchons de type industriel. License Creative Commons

Le problème avec ce type de bouchon, c’est qu’ils coupent beaucoup trop les fréquences. Résultats : on finit par les enlever ou par ne pas les porter de manière adéquate. Il existe évidemment d’autres alternatives, plus coûteuses. Les bouchons en silicone moulé à l’oreille – on les appelle les bouchons pour musiciens – qui laissent passer les fréquences de la voix parlée et qui atténuent les autres de manière égales. En plus d’être très confortables. Ces bouchons permettent peut aussi choisir le niveau de protection selon le contexte, grâce à un filtre amovible qu’on place dans le bouchon. Il existe trois forces de filtre : 8 dB, 15 dB et 25 dB. Pour vous donner une idée, une protection entre 15 dB et 25 dB est idéale pour un show métal! Ce type de bouchon est habituellement offert dans toutes les cliniques d’audiologie. Leur prix : environ 250$. Je sais, ce n’est pas donné… Heureusement, une alternative moins coûteuse existe (entre 40 et 90$ sur Amazon!) : un bouchon non moulé, mais qui permet l’utilisation des mêmes types de filtres.

Bouchon moulé pour musicien avec filtre de 15 dB. Crédit: Lobe santé auditive.

Mieux vaut prévenir que (ne pas) guérir

En plus de porter des bouchons, il existe plusieurs stratégies qui permettent de ne pas sursolliciter vos oreilles. Le lendemain d’un spectacle, évitez d’écouter de la musique trop forte ou de faire une activité trop bruyante sans porter des bouchons, et surtout si vous avez des acouphènes qui se sont développés après un show. Les acouphènes sont un bon baromètre pour évaluer la fatigue auditive. C’est un signal que le corps nous lance d’abord pour indiquer que nos oreilles ont besoin de repos. Quand on choisit d’ignorer le signal, on s’expose à des risques de séquelles permanentes. Une autre stratégie est aussi de prendre conscience du niveau sonore auquel on écoute notre musique et de le baisser. On peut aussi choisir d’activer la protection auditive sur nos écouteurs, notre ordinateur ou notre téléphone. Ce simple geste peut vraiment faire une différence!

Pour conclure, mon but avec cet article n’était pas de m’apitoyer sur mon sort ou de vous faire sentir coupable. J’avais plutôt l’intention de vous sensibiliser à porter attention à cet organe qui fait d’abord de nous des métalleux : notre audition.

***Si vous souffrez de problèmes auditifs, n’hésitez pas à consulter un audiologiste ou encore à m’écrire! Je pourrai vous référer aux bons services.***

Références

Baguley, David M. et Gerhard Andersson. 2007. Hyperacusis: Mechanism, Diagnosis and Therapy. San Diego: Plural Pub.

Jastreboff, Pawel J et Jonathan W.P. Hazell. 2008. Tinnitus Retraining Therapy: Implementing the neurophysical Model. Cambridge: Cambridge University Press.