Samedi, j’étais dans ma cour arrière. Je prenais une bière tout en contemplant le ciel de Terrebonne. Un mix metal jouait, tiré directement de Spotify. J’étais seul, sur le divan de type « out dooring » que nous avons, la jambe croisée. Mon gazon se voulait long, ce qui se veut normal après 6 jours sans coupe. Le son d’une cloche parvient de la rue, derrière moi, mais le son d’une autre cloche est audible aussi, à côté de moi. Dans la rue, le camion de l’aiguiseur est en train de cheminer vers mon quartier mais en même temps, la liste de lecture Spotify décide que c’est « For Whom the Bell Tolls » qui embarque. En même temps, au même moment. Le Québécois moyen me dirait d’aller m’acheter un 6/49 mais ce n’est pas ce que je fais.
Je me dirige plutôt vers mon garage. J’ouvre la porte et je sors ma tondeuse. Je me dois absolument d’aller faire aiguiser ma lame, elle est émoussée et a besoin d’un coup de grinder, solide! Trois de mes voisins se dirigent eux aussi vers l’aiguiseur avec leur tondeuse personnelle. Marcel, mon voisin retraité qui est membre d’une chorale, me confirme qu’il avait remarqué que ma lame ne coupait plus. Il m’explique qu’il voit des cercles dans mon gazon, ce qui confirme que mon gazon n’était plus coupé mais plutôt, arraché!
Le technicien-aiguiseur approuve de la tête et son assistante (probablement son épouse) prend mes 22$ et nous continuons nos discussions, entre voisins, face aux soins de pelouse, d’entretien de terrain et de l’importance d’avoir une lame bien affutée pour que cette pelouse demeure bien coupée, donc bien en santé. Nous écoutons Marcel, sachant qu’un retraité de sa trempe sait de quoi il parle et je ne peux m’empêcher de penser qu’un jour ce sera moi qui serai cette référence que les voisins dans la trentaine écouteront en se disant : « Il sait de quoi il parle ce gars! Checke les arbres, checke l’intensité du vert de sa pelouse et regarde sa belle barbe poivre et sel! Cet homme ne peut dire que la vérité! »
La job étant terminée sur ma tondeuse, Marcel me demande ça faisait combien de temps que je n’avais pas fait aiguiser ma lame car, avec la superficie de mon terrain, avec une tonte par semaine pendant l’été, il faut que l’aiguisage soit annuel. Je dis que cela devait faire probablement deux ans que je n’avais pas fait aiguiser la lame de mon bonne vieille, et rutilante, tondeuse.
Deux ans, même nombre d’années que le dernier album de Cryptopsy, As Gomorrah Burns. Album paru chez Nuclear Blast, cette production est la seule à être parue sur le label allemand. Ensuite, l’étiquette a décidé de faire le ménage dans l’écurie et les Québécois se sont retrouvés sans maison de disque. Pourtant, l’album a été excessivement bien reçu, autant par le public que par la presse métallique. As Gomorrah Burns a même gagné le Juno de l’album metal de l’année.
Des spectacles, des tournées mondiales qui ont même amené le groupe à jouer dans des places impensables comme l’Arabie Saoudite! Oui, premier groupe metal à jouer dans ce pays, battant Metallica! Olivier Pinard annonce qu’il quitte Cattle Decapitation pour garder le focus avec Cryptopsy et un nouveau label est annoncé pour la formation. En plus, un nouvel album sera disponible et ce, moins de deux ans après le précédent!
L’inspiration est présente, aucun doute car le groupe a écrit l’album sur la route!
Et c’est avec Season of Mist que cela va se passer, ce vendredi 20 juin. Effectivement, le label français n’a pas perdu de temps pour proposer An Insatiable Violence, nouvelle production pour Cryptopsy. Nouvel album (avec une couverture qui provient des archives de leur ancien chanteur, Martin Lacroix, décédé il y a quelques années) à entendre dans mes oreilles, nouvelle lame à essayer au bout de ma tondeuse, je suis bien parti pour une session de grindage intense!
Cryptopsy reprend sa routine de l’intensité, imposée depuis des décennies, dès la première pièce qu’est The Nimis Adoration. Avec pugnacité, les musiciens varlopent sur celle-ci et le texte de Matt McGachy se veut aussi brutal car cette chanson parle des gens qui, sur les réseaux sociaux, aiment bien manger des quantités astronomiques de nourriture, question d’accumuler des likes. Tornade métallique immédiate, un cri de McGachy et on est en business, avec pétarades contrôlées en plus de ponts saccadés.
Par contre, je remarque que certains ponts demeurent vraiment… groovys! Rien pour te faire twister comme un Chuck Berry mon ami mais plus pour avoir la tête en mode approbation, effectuant des mouvements répétitifs où tu accumules des « oui » de la caboche quoique c’est de courte durée, étant donné que Cryptopsy adore changer de séquence, la preuve demeurant cette roulade de basse somptueuse qui laisse repartir une implosion musicale après quelques secondes!

Le souffle de McGachy est rauque lorsque l’impulsive Until There’s Nothing Left surgit. Excitation musicale et mesures plus galopantes, les lignes se suivent mais ne se ressemblent aucunement. La pièce de viande se veut bien grasse mais le couteau est bien aiguisé pour que l’on puisse en apprécier toutes les parties. De plus, la basse d’Oli Pinard est ondulante sur celle-ci, nous confirmant le doigté précis du bassiste.
Avec Dead Eyes Replete, ton malaxeur Ninja est à la force 10, assez vigoureux pour concasser de la roche pour en faire du zéro trois-quarts! Les percussions de Flo Mounier demeurent excessivement variées sur ce morceau. Il y va de moments plus réguliers, du grind habituel et des parties tellement complexes qu’on se demande si un troisième bras (rien à voir avec le 3e lien de Québec-Lévis) lui a été greffé.
Et une fois de plus, la guitare de Donaldson est groovante, sur quelques mesures et la technicité vient se remonter le museau, pour mieux nous déstabiliser. Avec Fools Last Aclaim, nous retrouvons cette facture, une fois de plus, qui alterne le boogie woogie métalliquement grindé avec la complexité habituelle du groupe.
Ce n’est que le quatrième morceau et déjà, je sens les nerfs de mon cou tirer un brin. Certains diront que la cinquantaine y est pour quelque chose. Par contre, je crois plutôt que c’est cette addition surprenante de groove bien cadencé qui se veut responsable de cet étirement.
Heureusement, The Art of Emptiness débute avec une performance pratiquement parlée, susurrée même mais toujours caverneuse. Mais, si tu crois être en mesure de croire que Cryptopsy va nous faire un titre à la Nick Cave version metal, ce n’est pas le cas étant donné que ça pète de partout par la suite, pour bien se reconstruire et repartir en déconstruction, proposant au passage un solo de Donaldson qui sera imbriqué dans un mouvement musical très groové, probablement le plus accrocheur de l’album.
Ensuite, Our Great Deception (avec son intro jazzy!) et Embrace the Nihility poursuivent dans la même lignée, la recette se voulant parfaite pour cette production. Par contre, un élément se veut bien intéressant à la fin d’Embrace the Nihility car la partie vocale finale est effectuée par Mike DiSalvo, chanteur du groupe lors des années ’90. Sur Malicious Needs, Flo Mounier demeure excessivement punitif. Il doit rouler à la même vitesse que le rotor sous ma tondeuse à gazon. Ça te déchiquette les oreilles autant que ma lame à double tranchant est capable de déchiqueter les grains de Kentucky Bluegrass qui se retrouvent sous elle!
Vers la portion des deux minutes de cette pièce, musicalement, nous tombons dans une sphère beaucoup plus vaporeuse, mais toujours extrême. Le jeu de guitare de Donaldson se veut plus élastique et soporifique, amenant un effet de mollesse à cette pièce mais comme tu dois t’y attendre, un changement drastique viendra réveiller la bête! Le dernier tiers de la pièce se veut pratiquement comme une partie plus éthérée, avec McGachy qui offre une alternance entre le cri black métallique et la rocaille habituelle quoique cette partie musicale se veuille beaucoup plus « post metal», ce qui fait que cette production se termine de façon bienveillante, au lieu de nous laisser dans un énervement cérébral.
Aujourd’hui dimanche, je termine de taper cette série de mots en sachant que, malgré la Fête des Pères, je devrai m’acquitter de ma besogne qu’est celle de tondre ma pelouse. Comme de raison, je vais m’enfoncer des écouteurs dans le creux des oreilles pour effectuer cette coupe avec ma lame bien affutée, tout en réécoutant cet album de Cryptopsy, qui étouffera amplement le son de ma tondeuse…
Disponible le 20 juin sur Season of Mist.
www.facebook.com/cryptopsyofficial
Photo : Maciej Pieloch