Gojira est un groupe originaire de France qui en est à son 7e album, Fortitude, qui sortira le 30 avril prochain. Ars Media Qc a eu l’occasion de s’entretenir avec Mario Duplantier, batteur et co-leader de la formation. Lui en France et Sarah bien au chaud au Québec, ceux-ci ont pu discuter des projets qui animent le groupe. Voici leurs échanges.

Ars Media Qc :
Pour Gojira, un 7e album en carrière, comment on se sent?

Mario Duplantier :
On se sent bien, on se sent plus détendus que d’habitude. C’est que sur les albums précédents, moi personnellement, je me sentais un petit plus pressurisé, sous pression. Là, on est assez détendus puisqu’on a assez travaillé dur sur cet album. On est satisfaits du résultat, on le trouve très complet. On pense qu’il va plaire aux gens qui aiment le côté heavy de Gojira et il va plaire aussi à ceux qui nous apprécient pour l’aspect mélodique. Je trouve que c’est un album assez bien équilibré donc pour l’instant je suis assez confiant.

Ars Media Qc :
Ça aura pris 5 ans entre les deux albums, Magma et Fortitude. On imagine un nouveau monde un peu post-pandémique dans cet album. Malgré avoir enregistré avant que la pandémie ne frappe, mais plutôt pendant le mixage, qu’est-ce que cette pandémie vous a apporté de plus dans la création de cet album et pourquoi avoir choisi de le lancer maintenant?

Mario Duplantier :
Le titre de l’album Fortitude avait été donné avant la pandémie, l’écriture comme tu l’as dit avait été fait avant la pandémie et l’enregistrement aussi donc si tu veux, les thèmes de Gojira sont assez récurrents, c’est souvent la même chose en fait. On parle beaucoup de l’humain et par le biais aussi de la planète, mais on a des thèmes introspectifs, spirituels et très humanistes au final. En fait, ça ne change pas vraiment et donc Fortitude c’est cette notion de courage. Un courage qu’il faut s’apporter à soi-même pour vivre, un courage qu’on a envie d’apporter aux autres et être courageux pour faire face aux difficultés de ce monde en tant que citoyen, en tant que père, en tant qu’homme, en tant que femme. C’est vraiment un sujet assez général sur le courage et c’est vrai que quand la pandémie est arrivée, au début moi j’avais un peu peur parce que je me suis dit que même parler de l’Amazonia c’était plus de propos, parler du sphinx et tout ça donc j’avais peur qu’on tombe à côté, mais eu fait au final c’est ce qui ressort durant cette pandémie : c’est qu’on a d’autant plus besoin de courage dans une période qui est dramatique et extrêmement difficile à gérer. Du coup, je trouve que cet album tombe à pic. Il devait sortir en juin 2020, on a dû repousser la sortie et finalement il sort maintenant par notre volonté et surtout celle du milieu, même si on sait très bien que c’est mieux de sortir un album quand on peut tourner en même temps, parce que c’est ce qui permet économiquement de survivre la tournée, et c’est ce qui permet de faire vivre un album. Mais juste parce qu’on sent que les gens ont besoin de culture, ont besoin de musique, on sentait que les gens qui aiment Gojira, nos fans, avaient envie d’entendre du nouveau son et nous on avait besoin aussi de juste le dropper quoi, on avait vraiment besoin de le donner. C’est important.

AM :
Comment est-ce qu’on vit en tant que musiciens en ces temps difficiles?

MD :
Alors pour être très honnête, ça fait 15 ans qu’on tourne intensivement, des tournées marathon tu vois, où on est loin de nos familles, de nos enfants et de nos épouses. Donc cette pandémie arrive à un moment où on peut reconnecter avec nos familles. Il faut aussi savoir que quand tu es musicien, tu as beaucoup de choses à faire en dehors des tournées. On peut travailler son instrument, on peut écrire de la musique. Là, il s’avère que nous, on a beaucoup travaillé l’équipe, on travaille la promo de cet album donc on a de quoi faire. On a beaucoup à faire. La scène ne nous manque pas énormément pour l’instant, mais on sera très contents de repartir sur les routes. Il faut aussi régénérer l’énergie du corps et garder la flamme parce que pour partir en tournée il faut quand même beaucoup d’énergie et cette pause, elle n’était pas de trop pour nous, même si on sait que ce sont des circonstances difficiles, mais en tant que musiciens on a apprécié cette pause.

AM :
Amazonia, quel projet incroyable! Évidemment, vous avez toujours véhiculé des messages en faveur d’un monde meilleur, qui respire mieux, qui consomme moins. Vous avez collaboré encore une fois avec Charles De Meyer pour la réalisation de la vidéo de la chanson, mais aussi avec plein d’autres ressources. Comment ça s’organise tout ça? Comment on passe d’une idée, d’une vision, à l’exécution d’une vidéo qui fait pousser une campagne. Comment ça s’est passé?

MD :
Écoute ça s’est passé tout d’abord quand on a vu que l’Amazonie partait en feu. On était dans un état de rage. On sait que c’est quand même une des dernières forêts primordiales de la planète. On sait que c’est une forêt qu’il faut absolument chérir et entretenir. On ne peut pas dévaster cette forêt. C’est symbolique même, c’est la plus grande forêt de la planète. Si celle-là disparaît, c’est un drame et pas que pour la planète, mais pour les humains, les animaux, les espèces, la flore, la faune. Donc c’est du bon sens tu vois. Quand on a écrit cette musique, on était juste dans la rage, la colère de voir ces images de l’Amazone, mais après on s’est dit aussi qu’en 2021, c’est une année où il faut commencer à être plus actifs, parce qu’il y a beaucoup de micro-apocalypses (les feux en Californie, les feux en Australie) et il se passe beaucoup de choses très dramatiques. Mais là, il faut être dans l’action quoi, on n’a plus le choix maintenant. On est face au mur et il faut agir. Et nous bon, les mots c’est bien, la musique c’est bien, mais on s’est dit : « Qu’est-ce qu’on peut amener? Quelle peut être notre pierre à l’édifice? ». Tu sais on approche des 40 ans aussi donc on voit que la nouvelle génération est bien plus active que nous et elle donne même l’exemple avec les Greta Thunberg ou la nouvelle génération des vendredis de ce monde. Notre génération, les 35-40 ans, on est un petit peu derrière tu vois. Donc en fait, si tu ne fais pas partie de la solution, tu fais partie du problème. Voilà ce que moi je pense. Du coup, on s’est dit : trouvons les personnes qui sont les plus actives pour les tribus amazoniennes qui sont en grande difficulté et essayons de leur apporter notre soutien d’une manière ou d’une autre. Donc on a créé cette plateforme. On a trouvé un ONG qui s’appelle APIB qui travaille au Brésil avec toutes les tribus amazoniennes. Ce sont de sources sures. On a passé des semaines à communiquer avec différentes personnes qui nous ont dit que ce sont ces gens-là qui s’occupaient le mieux des problèmes réels et concrets qu’ils avaient sur le terrain et du coup on a juste passé quelques coups de fil, envoyé quelques textos à nos amis musiciens puisque maintenant on est intégrés dans cette communauté. Ils ont TOUS répondu présents à l’unanimité. Dans l’heure ou dans la journée on nous a dit : « Oui, on veut participer, on est prêts à aider et à donner une caisse claire, une cymbale, ce que vous voulez pour cette cause-là, pour élever des fonds. » et donc là, je crois qu’on a atteint les 100 000 $. Cette somme va être versée entièrement à cet ONG, donc je tiens à remercier vraiment tous les musiciens de Arch Enemy, Metallica, Guns N’ Roses, Deftones, Korn, Slipknot, Behemoth enfin tout le monde quoi! C’est énorme de voir ça!

AM :
C’est un très beau mouvement de solidarité en effet. On souhaite que ça apporte beaucoup de fonds à cette campagne, bravo! Pour en revenir à l’album, on dit que certaines chansons sont symboliques. On dit que certaines sont faites pour être seulement jouées et donc pas nécessairement enregistrées tandis que d’autres sont importantes et sont la clé des albums. Pour Magma, j’ai l’impression que c’était très introspectif. Vous traversiez des moments plus tristes en vivant un deuil très difficile (votre mère)… et vous avez choisi de partager ça via la musique avec vos fans, ce qui est une très belle façon d’immortaliser des moments dans votre carrière. On se sent privilégiés d’avoir pu écouter ça auprès de vous… tandis que j’ai l’impression que Fortitude est beaucoup plus un appel à l’humanité, un wake up call, une urgence d’agir envers les aux autres. Vous êtes une sorte de catalyseur et manifestez une énergie très vive dans cet album. Est-ce faux de qualifier l’album de la sorte? Comment percevez-vous l’énergie projetée dans cet album?

MD :
Oui, il y a quelque chose que très uplifting, mais vraiment pour nous-mêmes. C’est avant tout pour nous qu’on écrit. On n’écrit pas que pour les autres. Évidemment, je pense régulièrement à nos auditeurs, aux fans. Je pense souvent à ça et je me dis : « Ah ça, je suis sûr qu’ils vont aimer. Ceux qui aiment le heavy vont aimer, ceux qui aiment les mélodies vont aimer, etc. ». Donc on est quand même connectés à nos fans, mais aussi, il faut savoir que quand tu écris un album, après tu pars sur les routes. Bon, en dehors des pandémies tu pars sur les routes et en 3 ans on joue les morceaux et les rejoue tous les soirs donc on a besoin aussi que ce soit des thèmes qui nous tirent vers le haut. En plus, on était dans une période où tout allait bien. On avait fait le Red Rocks, on avait été nominés aux Grammy Awards, on a fait des sold-out partout, un cycle d’albums hyper gratifiant qui a vachement marché pour nous et là on se sentait bien dans nos baskets. On s’est dit : « Mettons de la lumière et plus de couleurs dans cet album. » On avait envie de ça et c’est comme ça que ça s’est fait, de manière assez naturelle et aussi un désir d’être portés par un message qui nous fait du bien.

AM :
Qu’avez-vous trouvé difficile dans la création de cet album comparativement aux autres?

MD :
Je dirais qu’on est plus exigeants qu’avant sur la structure des morceaux, même sur les gammes employées et sur la voix aussi. On a eu aussi envie d’essayer de faire des refrains un petit peu plus. On avait envie de faire comme des hymnes qu’on pourrait partager avec le public parce qu’à force de tourner, on se rend compte que c’est tellement plaisant. Un morceau comme Stranded ou Silvera dans l’album Magma, ce sont deux morceaux assez forts, et quand on les joue en live, tout le monde est avec nous. C’est un vrai partage et je pense qu’on a de plus en plus envie de ça, de partager avec l’autre. On est un petit peu moins dans notre bulle qu’avant. On a envie de fête quoi tu vois! (Rires). Il y a donc eu cette approche de refrains dans cet album. C’est une approche qu’on n’a jamais vraiment eue avant. On était toujours plus dans l’expérimental, on avait des structures de morceaux qui étaient plus anti conventionnels et là, sur cet album, je trouve que c’est assez structuré. Ce sont comme des thèmes qu’on va pouvoir chanter tous ensemble.

AM :
Oui! J’ai d’ailleurs remarqué, en écoutant l’album, que la pièce The Chant est beaucoup plus mélodique en soi comme chanson. C’est de très bon augure! Et donc rapidement, dernière petite question. J’étais présente au Festival d’Été de Québec lorsque vous étiez en première partie de Rammstein en 2016. Très bonne performance d’ailleurs. Et donc… On reporte les concerts un peu partout dans le monde. Plusieurs reportent en 2022. En février, vous annonciez que la tournée débuterait en août. Comment vous sentez-vous face à cette tournée américaine? Vous disiez qu’une pause était présentement la bienvenue, mais comment prévoyez-vous l’avenir idéal pour la tournée de Gojira?

MD :
Merci! C’était chouette ce concert! Pour la suite, je te dirais qu’il y a un gros point d’interrogation par rapport au futur. C’est-à-dire que tous les gouvernements, leur réalité est différente. Tu vois, nous on est en France en ce moment et il y a un énorme lockdown, maintenant on est totalement confinés, les écoles sont fermées, il y a un curfew en plus et donc tu n’as même pas le droit d’aller faire les courses après une heure précise. Donc c’est vrai que là, on est dans une situation où humblement on attend de voir ce qui va se passer. Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer. On a l’impression qu’en Amérique du Nord ça a l’air de mieux se passer qu’en Europe. L’Europe est loin derrière niveau vaccination. En tout cas, tout ce que je sais, c’est que quand le monde rouvrira et qu’on pourra y retourner, on sera là à fond et on appréciera chaque seconde puisque quand tu perds quelque chose et que tu peux le retrouver après, tu l’apprécies d’autant plus donc j’ai tellement hâte!

AM :
Tout à fait d’accord! Présentement, dans la Ville de Québec, nous sommes aussi confinés avec couvre-feu. On vous comprend! Et donc, je prends le temps de vous remercier, énormément. On a très hâte de vous voir aussi au Québec. C’est très apprécié. J’ai bien aimé l’album! On rappelle que Fortitude sera sur les tablettes le 30 avril prochain.

MD :
Merci! Merci à vous pour cette interview et à bientôt!

Pour soutenir la campagne Amazonia, c’est ici : https://propeller.la/gojira