Image ci-haut : des Maß (verres de 1 litre) de ce qui est probablement une des Lagers pâles d’Augustiner-Bräu, une brasserie traditionnelle de Munich en Allemagne. Source de l’image : https://www.augustiner-braeu.de/


Introduction

La nouvelle est tombée le mois passé, la microbrasserie Vrooden arrête sa production de bière pour se tourner vers les alcools de riz. Ils avaient déjà testé dans le passé le makgeolli, cette bière de riz coréenne à la texture et l’apparence laiteuse. Vrooden était à la base spécialisée dans les styles allemands ; souvent bien réussis et fidèles aux bières d’origine d’ailleurs. Il fût un moment où ils nous proposaient tour à tour des spécialités allemandes rarement brassées au Québec comme la Heller Weizenbock (bière de blé pâle forte en alcool), la Ur-Bock (bière brune forte) ou la Eisbock (bière de glace). Ils se sont éventuellement tournés vers les IPA et autres styles à la mode question de suivre le marché, mais ont apparemment été victimes de l’impitoyable compétition qui se passe dans le monde microbrassicole québécois, et plus particulièrement sur les tablettes des détaillants spécialisés. Il faut également dire que ces produits plus en vogue (de Milkshake IPA, NEIPA et autres bières sures fruitées…) ne se démarquaient bien souvent malheureusement pas nécessairement.

Voici le lien de l’article auquel je réfère pour en savoir plus.

Que serait-il arrivé si Vrooden s’était entêtée à ne brasser que des styles allemands, le genre de bière qu’ils réussissaient le mieux? Est-ce que la bière allemande (même extrêmement bien exécutée) fait vendre au Québec? Ou c’est toujours un créneau trop pointu pour qu’une entreprise brassicole se spécialise uniquement dans celle-ci? Est-ce que le consommateur est devenu trop avide de nouveauté et de styles plus éclectiques? Est-ce que les brasseurs doivent absolument sortir une millième déclinaison de la NEIPA pour survivre?

Ce sont à mon avis toutes des questions qui se posent, mais dont je n’ai pas les réponses. Dans cet article, nous ferons une incursion dans l’univers de la bière d’inspiration allemande au Québec. Avec les festivités de l’Oktoberfest qui approchent, laissez-vous inspirer!


Historique

Les brasseurs québécois ont toujours été plus influencés par les Belges que par toute autre tradition brassicole ; la langue commune y est probablement pour quelque chose. C’est dans la tradition belge que les brasseurs ont la liberté d’expérimenter avec différents aromates comme les épices ou les fruits. Les brasseurs québécois, et américains plus largement, ont poussé cette tendance jusqu’aux extrêmes en expérimentant avec des ingrédients de plus en plus inusités. C’est devenu l’une des caractéristiques de la scène brassicole Nord-Américaine.

La tradition allemande, et principalement bavaroise, se veut quant à elle plus sobre (quand je dis « sobre » je ne parle pas des quantités de bières consommées 😉 ) : on ne brasse qu’avec de l’eau, des céréales maltées, de la levure et des houblons. C’est ce que dictait la fameuse Reinheitsgebot, ou loi de pureté de 1516, qui n’est plus en application aujourd’hui mais qui est toujours suivie rigoureusement par plusieurs brasseries allemandes. Les bières allemandes misent habituellement sur l’équilibre. À l’exception des bières plus fortes en alcool et plus rondes, on recherche habituellement une bonne buvabilité. Autre caractéristique : les bières allemandes mettent généralement la céréale ou la levure de l’avant plutôt que les houblons.

Au Québec, quelques brasseries se sont lancées dans la tradition allemande au fil des années. La microbrasserie qui est possiblement la première à l’avoir fait, est la défunte Brasserie Brasal qui était située à Montréal et qui a ouvert ses portes en 1989. Ils proposaient entre autres une Dunkler Bock (Lager allemande foncée), que je n’ai évidemment pas goûté car j’étais trop jeune à l’époque! La brasserie a été acheté par Sleeman (oui oui, les mêmes qui ont acquis Unibroue quelques années plus tard) et fermée définitivement au tournant des années 2000.

La microbrasserie Les Trois Mousquetaires (située à Brossard et fondée en 2004) s’est également beaucoup servie de la tradition allemande, dès ses débuts, malgré qu’ils aient beaucoup divergé de celle-ci pour suivre le marché dans les dernières années. Lorsqu’on retrouve dans les bières régulières d’une microbrasseries une Kellerbier (Lager pâle non filtrée et fermentée longuement) et une Maibock (Lager pâle un peu plus forte) en guise de bières blondes, une Hopfenweisse (bière de blé allemande mais houblonnée à l’américaine) comme bière blanche, une Sticke Alt (une version plus forte et houblonnée de la Altbier, qui est une Ale ambrée) pour faire office de bière rousse et une Schwarzbier (Lager sombre) comme bière noire, on peut dire que beaucoup d’efforts sont mis en œuvre pour faire briller la tradition brassicole allemande! Notons également qu’ils sont parmi les premiers à produire des Lagers (des bières au processus de fermentation plus long) dès leurs débuts, chose qui était à l’époque beaucoup moins courante qu’aujourd’hui dans le domaine de la microbrasserie.

Puis, il y a eu Vrooden vers 2016, qui se démarquait par son grand respect des traditions et la diversité des styles brassés. Les premiers brassins de la Helle, de la Pilsner, de la Kölsch, de la Weizen, de la Doppelsticke Altbier – et j’en passe – étaient tous vraiment bien réussis, et audacieux dans un contexte brassicole qui se voulait de plus en plus effervescent.

Plusieurs autres microbrasseries produisent également des bières de style allemand ici et là, sans se concentrer uniquement dans ce créneau, je pense par exemple à Silo, L’Amère à Boire, Maltstrom et bien d’autres.


La dégustation


Ein Masse – Dortmunder Export – 6,2% – Avant-Garde (Montréal)

La Dortmunder Export est un style très peu brassé au Québec, qui est dans les faits une Lager pâle inspirée des Pilsners tchèques mais brassée plutôt dans la région de Dortmund en Allemagne. La microbrasserie Avant-Garde nous propose sa version avec la Ein Masse. Ici, ce sont surtout les grains bien céréaliers et mielleux (sans être sucrés) qui sont mis en valeur. Le houblon se fait légèrement floral et herbacé mais sans grande amertume. La bière étant bien clean et sèche, elle se laisse boire excessivement facilement!


Hefeweizen Naturtrüb – Weizen – 4,7% – L’Amère à Boire (Montréal)

Les amateurs de bières ont parfois tendance à moins apprécier les styles plus classiques, souvent par manque d’ouverture ou parce qu’ils n’ont jamais eu accès à de bons exemples du style. La microbrasserie L’Amère à Boire, qui se spécialise (et excelle) dans les styles classiques européens, produit une excellente Weizen (bière de blé allemande). Sa texture moelleuse laisse place à des notes de banane mûre, de pomme, de poire, de poivre et de girofle. Un délice!

Note : le terme « Naturtrüb » (à prononcer « na-tour-trube ») signifie simplement que la bière est trouble, car non filtrée. À l’opposé, une Weizen qui aurait été filtrée serait désignée par le terme « Kristallweizen ».


Eisbock – Eisbock – 11,9% – Vrooden (Granby)

Cette bière de glace est l’une des rares représentantes du style sur les tablettes présentement. Ces bières de tradition allemande sont congelées, puis on lui retire des morceaux de glace afin de concentrer ses saveurs et augmenter drastiquement son taux d’alcool (je rappelle que l’alcool ne gèle pas). Celle-ci, brassée par Vrooden, a également été affinée 10 mois en barriques de brandy! L’aspect malté est goûteux et complexe, bien caramélisé. On retrouve aussi des nuances de mélasse et de fruits foncés ou secs comme la datte ou la figue. La barrique ajoute une belle complémentarité ainsi qu’une chaleur d’alcool agréable.

Même si cette bière a été commercialisée vers la fin de l’année 2021, gardez l’œil ouvert, il en reste probablement chez plusieurs détaillants spécialisés. Comme c’est un type de bière qui se conserve assez bien à travers le temps, un vieillissement de quelques mois ne lui a probablement par fait grand tort!


Conclusion

Voilà, j’espère vous avoir transmis un peu de ma passion pour la bière allemande! Malheureusement, ce n’est pas le créneau le plus représenté ou le plus populaire au Québec, et il faut aussi dire que certaines bières sont moins traditionnelles ou moins réussies, mais en cherchant un peu on peut trouver de vraies petites perles.

Si vous désirez plus de contenu sur les bières allemandes, je vous réfère à ces articles que nous avons écrit il y a quelques années :

-Article sur les bières de Munich et la tradition brassicole bavaroise :

-Dossier sur la Altbier, la spécialité de Düsseldorf :


Sinon, pour plus de suggestions de bières à déguster, rendez-vous sur L’amateur de bière.com, le site est mis-à-jour une fois par semaine avec plusieurs nouveaux tests de bières!