Pour cette deuxième chronique, j’ai voulu m’attaquer (littéralement, parce que c’est vraiment un sujet complexe!) à la notion « d’authenticité » dans la musique metal. Pourquoi m’intéresser à ce sujet? Tout d’abord parce qu’il y a un grand flou dans l’utilisation de ce terme, qui est souvent pluggé à toutes les sauces par les médias et par les amateurs quand vient le temps de qualifier la musique d’un groupe, d’un artiste, etc. Pour bien illustrer mon point, j’ai fait une petite recherche par mots-clés (authenticity, authentic, metal music/authenticité, authentique, musique metal) dans Twitter[1] et voici les principaux tweets que j’ai retenus :

Kakul Chandra @Kakul_Chandra, 17 févr. 2020 : « Well I like metal music because of it’s authenticity and the ‘actual’ use of ‘actual’ instruments […] ».

Soundcheck with Gentry @jegentry66, 12 juin 2020 : « On this day in Rock music history June 12th 1985, Megadeth released their debut album Killing Is My Business… and Business Is Good! It played an essential role in establishing thrash metal as an authentic subgenre of heavy metal music ».

Sharon Thompson @MotherSquid, 2 juin 2020 : « […] Kaitlyn [Bennett] is a total poser. Never authentic, always a wannabe. But her #1 truth will sadly forever be her ».

Photo prise sur le compte Twitter de Sharon Thompson

Matt Ryan/Ozzy Dead @MatthewRyan15, 15 juil. 2019 : « The line of going to a show for the experience is exactly what I go to each show for. Which is why I love both wrestling and rock/metal music. Both leave me feeling the experiences that both provide in various authentic ways ».

Manifesting Inspirado@NaiaRose13, 13 mai 2019 : « Having experienced the brain-grabbing complexity & radical authenticity of @Lazer/Wulf, I was eager to talk with Bryan “Racecar” Aiken, the creative force at the beating heart of this band ».

Hugo Plaza @hplav, 21 oct. 2018 : « When @ironmaiden makes authentic metal music and not only money Another Life – 1998 Remastered Version de Iron Maiden. https://open.spotify.com/track/0NlYnniNRXy3KyIoGoMHDl?si=Px7C-Q1LTrK984XV0ECGgA ».

MMH – The Home Of Rock Radio @MMH_Radio, 13 déc. 2017 : « […] “Lovebites deliver over an hour of some sincerely hard hitting and classy metal music, with an authentic Japanese edge.” Check out the review of @lovebites_jp ».

Après une première lecture de ces commentaires, on remarque que tous les groupes, personnes ou expériences dont il est question sont qualifiés « d’authentiques ». Mais le sont-ils pour les mêmes raisons? Est-ce que l’utilisation de ce terme réfère aux mêmes éléments? La réponse est évidemment : non. Maintenant, regardons pourquoi et surtout à quoi ce terme réfère vraiment.

Selon le Stanford Encyclopedia of Philosophy, le terme « authenticité » se rapporte à trois significations :

  1. Il réfère au caractère incontestable d’une œuvre ou de son auteur. On dira par exemple que Black Sabbath est un groupe authentique de heavy metal. On souligne ici que le groupe est pionnier dans ce genre et qu’on ne peut passer à côté de son apport.
  2. Il relève de ce qui est fidèle à l’original ou qui est une représentation fiable à l’original. Par exemple, on pourra dire que la musique du groupe X est un heavy metal authentique. Ce qu’on dit alors, c’est que le groupe X joue une musique qui reflète les codes esthétiques et idéologiques du « vrai » heavy metal.
  3. On l’utilise aussi souvent en tant que synonyme des termes « sincérité » et « honnêteté », en référant alors à l’attitude qu’une personne projette ou qu’elle entretient envers elle-même. Par exemple, une personne qui a un comportement « authentique » ne changera pas son attitude ou sa personnalité pour plaire aux autres. Elle tentera également de vivre sa vie et de faire des choix en étant « authentique » vis-à-vis elle-même, soit en respectant ses valeurs.

Toutefois, lorsqu’on s’intéresse à cette notion appliquée à la musique, plusieurs autres significations peuvent se greffer à celles présentées. Pour bien illustrer mon point, je vous présente ce schéma, qui représente l’ensemble des significations que peut revêtir le terme « authenticité » dans le contexte de la musique metal. Regardons chacune de ces principales catégories (identifiée par différentes couleurs) pour mieux comprendre comment ces éléments s’appliquent à cette notion dans la musique metal.

Les nombreuses significations du terme « authenticité » dans le contexte de la musique metal[2]
  1. De vrais instruments ou encore une interprétation inégale

Dans ce premier cas, le terme « authenticité » peut référer à une interprétation qui semble imparfaite, où les musiciens montrent un manque de maîtrise dans leur jeu instrumental. Ainsi, ce type de performance permet d’humaniser les musiciens, qui dévoilent, sans artifice, certaines faiblesses techniques. Cette signification du terme « authentique » peut aussi être associée avec l’utilisation d’instruments acoustiques ou folkloriques ou encore par l’absence de synthétiseur reproduisant le son de certains instruments. Ainsi, le fait que la sonorité des instruments ne semble pas être modifiée par le biais de la technologie (je dis bien ne semble pas, puisqu’il y a toujours un certain traitement sonore effectué en studio) confère pour l’auditeur une impression d’avoir accès à une forme musicale plus « pure ». Le tweet de Kakul Chandra (ci-dessous), prend ici tout son sens. En effet, ce dernier explique aimer la musique metal en raison de l’utilisation de vrais instruments, qui donnent un aspect « authentique » à la musique.

Kakul Chandra @Kakul_Chandra, 17 févr. 2020 : « Well I like metal music because of it’s authenticity and the ‘actual’ use of ‘actual’ instruments […] ».

Cette définition peut aussi être employée pour qualifier la réalisation sonore de basse-fidélité (lo-fi) qui est particulièrement recherchée dans le cas du black metal. Ainsi, pour les amateurs et musiciens de black metal, cette « authenticité » s’exprime à travers une réalisation musicale de moindre qualité, qui est comprise comme non aseptisée ou contrôlée par le biais de la technologie.

2. Proximité avec le public

Ensuite, l’authenticité peut référer à la manière dont une performance artistique sera perçue par les amateurs. Dans ce cas, on dira qu’une performance est authentique lorsque les musiciens, particulièrement lors d’un spectacle, parviennent à établir un lien étroit avec le public. Cela se traduit souvent dans leur manière de faire passer les émotions à travers l’interprétation de leur chanson ou par le biais d’une performance considérée comme étant presque identique à celle de l’album. Cela génèrera une certaine « communion » entre les artistes et le public. L’expérience sera alors qualifiée « d’authentique », comme on peut le constater avec le tweet de Matt Ryan :

Matt Ryan/Ozzy Dead @MatthewRyan15, 15 juil. 2019 : « The line of going to a show for the experience is exactly what I go to each show for. Which is why I love both wrestling and rock/metal music. Both leave me feeling the experiences that both provide in various authentic ways ».

3. Filiation réelle entre la musique et la tradition

Dans ce troisième exemple, le terme « authentique » s’applique à une musique qui se base sur des caractéristiques musicales dite traditionnelles, soit qui sont à la base du genre musical. Par exemple, un musicien qualifiant sa musique de « blues authentique » signale par-là que sa musique est directement liée aux racines du genre en question. Ainsi, en employant ce terme précis, l’artiste signale que l’utilisation d’un langage musical étant à l’origine du genre est pour lui davantage sincère et plus honnête que l’emploi d’un langage musical « contemporain », qui participerait plutôt à sa désagrégation. Cette définition se rapport d’ailleurs à la deuxième présentée en début de chronique, soit qui est fidèle à l’original. Dans ce cas, la publication de MMH renforce cette signification en expliquant comment la musique du groupe Lovebites allie musique metal et tradition japonaise.

MMH – The Home Of Rock Radio @MMH_Radio, 13 déc. 2017 : « […] “Lovebites deliver over an hour of some sincerely hard hitting and classy metal music, with an authentic Japanese edge.” Check out the review of @lovebites_jp ».

4. Vraie passion pour la musique/pas d’intérêt monétaire

Cette quatrième signification du terme « authenticité » est particulièrement présente dans la musique metal et réfère à une animosité par rapport aux gains financiers associés aux activités musicales. On considère alors les groupes ne voulant pas se conformer aux exigences de l’industrie sont « authentiques ». En effet, ces groupes font alors passer leurs valeurs et leurs goûts musicaux avant ceux imposés par le marché, en sachant très bien que cette décision aura un impact négatif sur leurs gains financiers. Cette indépendance face aux contraintes du marché est particulièrement bien vue dans la musique metal. Toutefois, des artistes dénaturant leurs propres convictions pour se conformer à une norme et/ou pour faire plus d’argent seront qualifiés de sell-out ou de « vendus ». Ce terme réfère au processus voulant que des artistes ou des chansons soient populaires au-delà de leur marché d’origine, entraînant une perte de l’identité ou de l’appartenance au style d’origine. Ainsi, qualifier un groupe de « vendu » signifie qu’il est désormais populaire pour des personnes extérieures de la culture d’origine, qui n’en comprennent pas nécessairement les codes.

Dans le contexte de la musique metal, demeurer dans la marge est une valeur intrinsèque au genre. Ainsi, être qualifié de non authentique ou de « vendu » par les amateurs est souvent considéré comme une accusation pouvant avoir une incidence très forte sur la carrière. Le tweet ci-dessous de Hugo Plaza reflète cette notion voulant que le metal d’Iron Maiden ne soit plus « authentique » et que les gains monétaires soient maintenant plus importants que la création d’une musique se voulant sincère à leurs convictions.

Hugo Plaza @hplav, 21 oct. 2018 : « When @ironmaiden makes authentic metal music and not only money Another Life – 1998 Remastered Version de Iron Maiden. https://open.spotify.com/track/0NlYnniNRXy3KyIoGoMHDl?si=Px7C-Q1LTrK984XV0ECGgA ».

[Je ne peux m’empêcher ici de faire une digression à propos de la corrélation complètement erronée que font souvent les amateurs entre le succès monétaire d’un artiste et son degré d’authenticité. Pourquoi « succès » devrait-il rimer avec « vendu »? Cette filiation, qui provient de notre héritage judéocatholique, où faire de l’argent est perçu comme étant mal, mérite d’être remise en question. En effet, comment le fait qu’un artiste ne puisse pas avoir les moyens de ses ambitions est-il positif pour sa carrière ou même pour son développement personnel? Faire de l’argent avec son art est-il une manière si ingrate de gagner sa vie? Au contraire, je ressens plutôt une grande fierté de savoir qu’un artiste d’ici peut vivre de sa musique (et on sait très bien qu’au Québec, il n’y en a pas tellement). Cependant, je conçois très bien que le changement de sonorité d’un artiste puisse faire sourciller, mais doit-on obligatoirement l’accuser d’être vendu ou non authentique? Bien des choses peuvent expliquer une nouvelle tangente musicale chez un artiste, et pas nécessairement la volonté de seulement « faire plus d’argent ». Voilà qui est dit.]

5. Connexion entre les chansons de l’artiste et son mode de vie

Dans cette cinquième instance, l’authenticité permet de qualifier l’attitude individualiste et l’adoption d’une persona[3] extrême par certains membres. Le cas de black metal est encore une fois particulièrement utile pour expliquer cette signification du terme. En effet, plusieurs amateurs de black metal considèrent le true black metal comme étant un modèle de sincérité et d’authenticité. En effet, les actes criminels perpétrés par les membres de la scène demeurent toujours perçus (autant par ceux les ayant commis que par plusieurs amateurs) comme ayant été nécessaires à la compréhension de l’état d’esprit caractérisant le black metal. Ainsi, les musiciens ont agi par conviction et « l’authenticité » qu’ils dégagent en tant que personnes se reflète aussi dans leur musique.

Toutefois, lorsque cette connexion n’est pas présente (soit que les convictions personnelles d’une personne ne traduisent pas ses goûts musicaux), le terme « poseur » sera employé. Selon Le Petit Robert, le terme « poseur » se définit comme suit : « Personne qui prend une attitude affectée pour se faire valoir ». Ainsi, dans le cadre de la musique metal, un poseur serait une personne qui adopte l’ensemble des attitudes reliées à ce genre dans le but de susciter des réactions favorables des amateurs, mais sans avoir un réel intérêt envers cette musique. Cette personne est donc considérée comme non authentique. Le tweet de Sharon Thompson traduit cette même idée. En effet, cette dernière se moque de la photo de l’activiste de droite Kaitlyn Bennett, qui porte un chandail de White Chapel (voir la photo en début de chronique), dans le but unique– selon Thompson – de se faire remarquer positivement par les amateurs, mais sans elle-même aimer ou même connaître le groupe.

Sharon Thompson @MotherSquid, 2 juin 2020 : « […] Kaitlyn [Bennett] is a total poser. Never authentic, always a wannabe. But her #1 truth will sadly forever be her ».

6. Initiateur

Le terme « authenticité » peut aussi référer aux groupes ou aux musiciens ayant été à l’origine de la formation d’un genre ou d’un style musical, et qui demeure toujours une référence pour les amateurs. Cette signification du terme se rapporte d’ailleurs à celle plus générale présentée au début de ma chronique, qui réfère au caractère incontestable d’une œuvre ou de son auteur, de son importance en tant que pionnier et de son apport pour les groupes qui vont suivre. Ce sens du terme est d’ailleurs mis de l’avant par le tweet de Soundcheck with Gentry :

Soundcheck with Gentry @jegentry66, 12 juin 2020 : « On this day in Rock music history June 12th 1985, Megadeth released their debut album Killing Is My Business… and Business Is Good! It played an essential role in establishing thrash metal as an authentic subgenre of heavy metal music ».

7. Originalité

Enfin, dans sa dernière signification, l’appellation « authentique » peut signifier que le groupe a élaboré sa propre sonorité qui se démarque du lot. Le tweet de Manifesting Inspirado exprime cette idée lorsqu’il décrit la sonorité du groupe Lazer/Wulf en associant le terme « authenticité » avec les mots « complexité saisissante », « radicale » et « force créatrice ».

Manifesting Inspirado@NaiaRose13, 13 mai 2019 : « Having experienced the brain-grabbing complexity & radical authenticity of @Lazer/Wulf, I was eager to talk with Bryan “Racecar” Aiken, the creative force at the beating heart of this band ».

Toutefois, même si le schéma présenté, ainsi que les explications l’accompagnant, permet de mieux comprendre l’éventail des significations rattachées au terme « authenticité », il manque certains éléments cruciaux pour saisir l’utilité réelle de ce terme. En effet, ce que ce schéma ne dit pas, c’est que l’authenticité, en tant que critère mesurable, n’existe pas. Pourquoi? Parce qu’elle est plutôt créée durant l’acte d’écoute. En effet, c’est l’auditeur qui attribue l’étiquette et la signification « authentique » (ou plutôt l’une des significations) à la musique. Ainsi, ce terme ne référerait à rien de concret ou de mesurable, le rendant, jusqu’à un certain point, vide de sens et hautement subjectif.

Or, malgré sa subjectivité, cette notion n’en demeure pas moins très importante pour les amateurs et les musiciens de metal. En effet, selon étude universitaire réalisée par des chercheurs danois, l’authenticité est une qualité absolue et inhérente, qui est souvent remise en question à la manière d’une lutte continuelle entre des partis qui cherchent à faire adopter leur définition particulière de l’authenticité (Kuppens et van der Pol. 2014, 152). Par ailleurs, ces chercheurs ajoutent que, dans le black metal, cette perception d’authenticité chez les musiciens est au moins aussi importante que les compétences musicales. Les arguments continuels échangés sur le degré d’authenticité d’un artiste (d’une chanson, d’une expérience musicale, etc.) permettent aux amateurs de reconfigurer la place d’un artiste au sein de la famille metal et de se forger une opinion sur leurs goûts et leurs valeurs.

Ainsi, je ne reproche pas aux amateurs et aux chroniqueurs d’employer ce mot. Ce que je reproche plutôt est de trop l’employer, sans l’associer à d’autres explications venant enrichir sa signification. Procéder de la sorte contribue plutôt à en diluer sa signification, jusqu’à ce qu’il ne réfère plus à rien de précis.

Références :

Carr, Paul. 2016. « Popular Music Authenticity Part 2 ». Rock Music Research. Consulté le 18 mai 2021. https://paulcarr.org/2016/10/09/popular-music-authenticity-part-2/.

Grazian, David. 2003. Blue Chicago : The Search for Authenticity in Urban Blues Clubs. Chicago; Londres : University of Chicago Press.

Kromhout, Jan Melle. 2009. « As Distant and Close as Can be : Lo-fi Recording : Site-specificity and (In)authenticity ». Communication présentée au 5e colloque de l’ARP. Cardiff University, England.

Kuppens, An H et Frank van der Pol. 2014. « ʽTrueʼ Black Metal : The Construction of Authenticity by Dutch Black Metal Fans ». Communications : The European Journal of Communication Research 39, no2 : 151-167.

Moore, Allan F. 2002. « Authenticity as Authentication ». Popular Music 21, no2 : 209-223.

« Poseur ». 2019. Dans Le Petit Robert en ligne.

Peterson, Richard A. 1997. Creating Country Music : Fabricating Authenticity. Chicago : The University of Chicago Press.

Somogy, Varga et Charles Guidon. 2020. « Authenticity ». Dans Standford encyclopedia of Philosophy. Consulté le 18 mai 2021. https://plato.stanford.edu/entries/authenticity/.

Thornton, Sarah. 1996. Club Culture : Music, Media, and Subcultural Capital. Hanover NH : Wesleyan University Press.


[1] Je n’entérine par nécessairement les commentaires mentionnés par ces utilisateurs. Ces publications sont uniquement utilisées afin d’illustrer mes propos.

[2] Cette image a été élaborée à partir de celle qu’on retrouve sur la page de Paul Carr. Voir l’adresse suivante : https://paulcarr.org/2016/10/09/popular-music-authenticity-part-2/.

[3] Dans ce cas-ci, « persona » réfère à l’image publique projetée par un artiste dans les médias.