Quand tu prends le temps de regarder ça, tu te rends compte assez rapidement que tu passes plus du tiers de ta journée au travail. Que tu sois à shop en train de souder, responsable d’arroser les légumes à l’épicerie, chirurgien cardiaque dans un hôpital ou avocat en droits immobiliers, tu passes le plus clair de ton temps à job. À moins que tu sois encore aux études ou sur l’aide sociale, tu passes beaucoup de temps avec tes collègues de travail. Énormément même.

Quand il te reste du temps, c’est généralement pour la famille, les loisirs et les amis. À moins que tu considères tes compatriotes de travail comme ta famille et amis. Bien souvent, nous créons une barrière entre les deux mondes, à quelques exceptions près. Nous ne travaillons pas avec nos amis, ce qui veut dire que nous pouvons développer une complicité avec nos collègues de travail mais il demeure rarissime de pouvoir développer un véritable sentiment amical avec ceux qui punchent et dépunchent en même temps que nous.

Dans les formations musicales professionnelles, c’est un peu la même chose, le même phénomène. Quand le groupe devient gros, une entité phénoménale, la formation devient une entreprise, un gagne-pain. Un peu comme toi quand tu fais ta besogne au bureau, certains musiciens gèrent leur groupe comme une entreprise.

Comme de raison, il faut penser à la genèse d’un groupe. Généralement, lors de l’adolescence, tu as probablement monté un groupe avec des amis. À la base, c’est ce qui arrive. Une poignée de copains ayant un but commun vont se réunir dans le sous-sol du batteur (c’est moins compliqué, question logistique du transport) pour jammer quelques covers. À un moment donné, les parents du batteur sont écœurés d’entendre tapocher et hurler lors de leur dimanche après-midi et c’est là que la dimension sérieuse arrive : se payer un local et faire des compositions originales.

À ce moment, le noyau amical initial va éclater, étant donné que la dimension pécuniaire arrive. C’était bien le fun de le faire alors que c’était gratuit dans le sous-sol du batteur mais maintenant qu’il faut payer, certains débarquent du projet. À ce moment-là, il faut trouver des remplaçants et si le cercle d’amis est déjà vidé, il faut se tourner vers d’autres ressources pour combler les cases vides.

Le groupe peut accueillir une ou des personnes avec qui le tout clique musicalement mais au niveau amical, c’est deux mondes. Complètement. Totalement. Mais le ou les candidat(e)s tirent en cibole et les compositions s’accumulent au même rythme que les gaffes de Bernard Drainville en 2023.

Tout le monde paie sa part du local. Ça débloque un brin, enregistrement d’un démo qui trouve son chemin, quelques concerts en périphérie, de la merch est produite et il y a un buzz autour du band. Tout à coup, les musiciens se veulent motivés, ils pensent produire un album de façon indépendante mais cela va coûter quelques dollars pour chaque tête de pipe. Ce qui était un terme men$uel de quelques dizaines de dollars vient de prendre une toute autre dimension. Les modalités monétaires d’un studio font que chaque musicien devra payer une couple de mille$. Pas loin de sept mais moins que dix, nous rassure-t-on.

Et c’est là que d’autres musiciens vont quitter le navire, une fois de plus. L’impact d’un investissement aussi intense permet une remise en question pour quelques membres du groupe. Ce sera donc le départ d’un ou quelques membres du groupe qui ne veulent pas assumer la part des dépenses.

Après quelques semaines de recherches, la formation accueille de nouveaux membres. Des gens sérieux qui veulent que le tout fonctionne et qui sont prêts à embarquer. Des gens occupés aussi. Au local et au studio, c’est du vrai travail. La jasette est permise entre les prises mais généralement, au prix que le tout coûte, on maximise sur la performance.

Comme au travail. Comm’ à job!

Et quand le tout devient excessivement sérieux, qu’il y a une ouverture qui s’est créée, que ça marche et que le tout roule, tu te rends compte que ce petit groupe qui a pris naissance dans le sous-sol d’un chummy, il y a de cela six ans, n’est plus du tout ce qu’il était à la base. Tu te retrouves comme étant le seul membre original et ceux qui t’entourent sont des gens que tu as connus sur le tas. Un était le bassiste d’un groupe avec qui vous aviez partagé la scène jadis, le batteur est une référence du gars chez qui vous avez enregistré le premier démo et votre nouveau chanteur travaillait à la shop où vous avez printé votre énième batch de t-shirts.

Rares sont les groupes qui peuvent confirmer qu’ils sont tous des amis, à la base. De vrais amis. Comme à job, à shop, au bureau. Comme au travail. Vous côtoyez des gens avec qui le tout fonctionne lorsque vous avez un objectif pour faire rouler l’affaire mais en dehors du boulot, vous savez que le tout ne fonctionnerait pas. Vous êtes trop différents, à des kilomètres au niveau valeurs, au niveau politique et parfois, religieux.

C’est ainsi au travail. Souvent, sur l’heure du diner, tu te rends compte que l’une est contre l’avortement même s’il y a eu viol sur la personne car les croyances religieuses de la personne lui dictent cette pensée. L’un est pro-Trump, trouve que cet homme est génial, qu’il l’a l’affaire même si lui, habite Longueuil et une autre compatriote de travail ta rappelle toujours que Dieu «l’a voulu ainsi» et qu’en cas de doute, la prière est toujours une solution. Ton voisin de cubicule a un rire qui t’énerve, parle fort et sa seule présence t’irrite. Tu fulmines, tu rages en dedans, tu en es rendu à aller diner dans ton auto mais quand vient le temps de livrer la marchandise, votre équipe de travail est toujours là pour exceller et ce, sur tous les points.

Dans les groupes musicaux, c’est la même chose et certains l’ont compris. Certains rapidement, d’autres ont pris plus de temps pour s’en rendre compte. D’autres? Jamais et au grand dam des amateurs du groupe.

Avec les années, j’ai eu l’occasion de faire de nombreuses entrevues, en personne, avec de nombreux artistes du domaine métallique. En allant les rencontrer dans leur environnement de tournée, j’ai remarqué que plusieurs autobus pouvaient être utilisés pour combler les besoins du groupe. Sachant que parfois, lors d’une tournée, de deux à trois groupes partagent le même autobus, de voir qu’une formation professionnelle en utilise trois pour ses 5 musiciens, cela affirme qu’un groupe peut être vu comme une entreprise avant tout et non pas comme une bande d’amis qui longent les routes pour propager leur musique.

Le guitariste et le bassiste dans l’une, le batteur et l’autre guitariste dans l’autre tandis que le chanteur a la sienne pour lui tout seul, cela nous confirme que les musiciens n’ont pas cette fibre amicale mais ils comprennent que lorsque les cinq membres du groupe sont sur scène, la magie s’opère telle une entreprise luxuriante. En dehors de la scène, ils ne peuvent même pas se blairer, se regarder dans le blanc des yeux et esquisser un sourire. Par contre, sur le stage, tout pète et explose, laissant les foules en pâmoison!  

Avant le concert et après, chacun est dans ses pénates et ensuite, ils changent de ville. Le manège se répète, ville après ville, album après album tandis que pour le citoyen lambda, c’est le boulot mais l’exercice demeure le même : faire fonctionner une entreprise de manière convenable pour satisfaire la clientèle et surtout, que les employés en retirent une certaine satisfaction.

Une formation comme Anthrax l’a bien compris et sait comment le mettre en pratique. Ce qui n’a pas été le cas d’un System of a Down, Rage Against the Machine ou d’un Skid Row, par contre…