Quel bonheur de s’entretenir avec les leaders de la formation française Seth, et ce, évidemment en français. Depuis 25 ans, le groupe parcourt la scène black métal et vient de sortir un album tout aussi impressionnant que leurs performances scéniques et leur souci du détail. Voici nos échanges.

Ars Media Qc :
Déjà plus d’un mois depuis la sortie de La Morsure du Christ! Numéro 1 sur le palmarès français de black métal! Félicitations! Comment on se sent face à cette réponse jusqu’à présent?

Heimoth :
On est très surpris en fait! On s’attendait qu’il y ait quelque chose, mais bon là ça va au-delà de ce qu’on pouvait s’imaginer. C’est vrai qu’après il y a des chiffres oui, mais après ça fait toujours plaisir et c’est d’autant plus sympa d’entendre les réactions des gens. On a beaucoup de messages à l’effet que pour l’instant à l’année, c’est leur album préféré, il y en a même qui parle de chef-d’œuvre, etc. alors tant mieux! Franchement, on ne peut que s’en réjouir.

Saint-Vincent :
L’année n’est pas finie, on espère que ce sera toujours le cas en décembre et que ce sera considéré comme l’album de l’année aussi.

Ars Media Qc :
De mon côté du moins c’était vraiment un coup de cœur pour le mois de mai (la sortie était le 7 mai dernier). En tous cas, c’est pas mal dans mon genre!

Heimoth :
Ouais et bien justement, on est contents de pouvoir vous entendre parce que justement on a un petit peu moins d’entrevues en ce moment avec nos cousins québécois. On a eu pas mal d’entrevues avec des américains et on est toujours contents de connaître votre avis et faut surtout pas avoir peur de venir nous voir, nous solliciter pour venir nous en parler.

Ars Media Qc :
On sait que La Morsure du Christ est une suite des Blessures de l’Âme. Évidemment, on aime ce qui nous ressemble, on cherche des ressemblances, il y en a, mais que peut-on trouver de différent entre ces deux albums?

Saint-Vincent :
La maturité. Il y a 20 ans de différence. Le premier, ce sont de jeunes hommes qui s’exprimaient et maintenant ce sont plutôt des hommes d’âge mûr, en exagérant un petit peu quand même, mais voilà. Il y a des artistes qui ont passé plus de vingt ans dans le black métal qui s’expriment aujourd’hui. Pour moi c’est la différence, je dirais, fondamentale. Après, Heimoth, tu as peut-être des considérations à ajouter.

Heimoth :
Non, mais c’est sûr que Les Blessures de l’Âme s’est fait dans une certaine naïveté musicale et c’est ça qui a fait que cet album-là a marqué un peu les esprits. Aujourd’hui, on retrouve cet esprit-là, mais avec la maturité et l’expérience. Donc c’est un mélange entre les deux puisque c’est un album qui reste quand même très très authentique, mais pour ma part, je le trouve beaucoup plus agressif que le premier, car c’était vraiment ce qu’on souhaitait faire. C’est-à-dire que si on se remettait en route pour revenir aux racines du groupe, on souhaitait se repencher dans cet esprit-là de façon authentique, mais en y ajoutant une pâte qui nous correspond aussi aujourd’hui donc un petit peu plus agressif avec évidemment un son totalement différent, puisque personnellement je n’étais pas du tout satisfait de la production à l’époque.

Ars Media Qc :
C’est peut-être un album un peu plus complice puisque ça fait quand même un bout de temps que vous vous connaissez tous les deux. Est-ce que la création de cet album est différente puisque ça fait plus longtemps que vous vous connaissez?

Heimoth :
Je vois ce que tu veux dire. Faut savoir qu’à travers les années, bon le groupe a 25 ans. On a changé quand même pas mal de lineup, même si Saint-Vincent est avec nous depuis maintenant un bon moment (donc 2013-2014), on a toutefois eu l’occasion de se connaître et de bien développer nos personnalités et aujourd’hui il y a aussi un nouveau lineup, ce qui fait qu’il y a clairement du sang frais et je pense que sans eux, évidemment l’album n’aurait pas eu la même saveur d’autant plus qu’on a recruté un synthé donc voilà, ça fait clairement toute la couleur de l’album.

Ars Media Qc :
C’est donc aussi le Grand retour des claviers : moins de solos, beaucoup de synthé. Ça me plaît vraiment beaucoup en passant. Parlons maintenant de la belle et majestueuse pochette. Notre-Dame de Paris. Elle se veut un symbole de la France, un monument historique incroyable. En vous sachant Français, 1 + 1 font 2 évidemment. C’est un peu comme le 11 septembre des américains, mais quelle a été votre démarche artistique avec ce concept?

Saint-Vincent :
La démarche artistique eh bien c’est que, comme tu l’as souligné tout à l’heure, l’album est une suite des Blessures de l’Âme, une suite assumée et directe si je peux dire. On s’est replongés évidemment aussi dans l’esprit black métal des années ’90 dont l’iconographie était extrêmement liée aux églises en flammes donc c’était un très bon point de ramener cette iconographie pour être cohérents avec l’ambiance et l’atmosphère dans laquelle on évolue artistiquement sur cet album. Deuxièmement, comme tu l’as une fois de plus souligné il y a juste un instant, c’est un moment national très connu, mondialement connu. Or, nous réassumons sur cet album des paroles en français, donc on met en avant l’identité française de nos paroles donc ça allait avec ça. Et troisièmement, la raison la plus importante, celle qui se base et qui crée le concept de l’album à savoir, comme tu l’as dit également tout à l’heure (Rires), on le compare avec le 11 septembre. C’est un événement mondialement connu et symbolique qui stigmatise la fin de l’ère chrétienne de l’occident, une fin que l’on a connue depuis notre naissance puisqu’on a tous vu la religion chrétienne disparaître petit à petit, se vider de son essence alors certains sont nés hors de la religion chrétienne donc ils voient ça juste d’un œil lointain. Nous, tout du moins Heimoth et moi, nous avons grandi dans la religion chrétienne et même dans une religion chrétienne soutenue, les cours de catéchisme, etc. donc on la connaît très bien de l’intérieur. On l’a vue se décrépir avec le temps. Donc cette pochette et cet événement symbolisent le certificat de décès si je peux dire de la fin de cette ère chrétienne. Évidemment les institutions sont encore là, il y a toujours le Vatican et tout, mais l’album prétend que c’est de l’inertie et que ce sont des restes vidés de leur essence qui semblent disparaître puisqu’il y a un changement de paradigme, de force tellurique globale planétaire qui font que le temps est à d’autre chose. Alors voilà c’est un constat. Il y a plusieurs albums par le passé qui illustrent des époques. Moi je vois vraiment cet album comme une illustration d’une époque, quelque chose d’extrêmement ancré et cette pochette nous permet donc de l’incarner.

Heimoth :
Ouais c’est ça il y a pas mal de gens qui ont dit : « Ah ils ont voulu choquer, ça marche plus avec ce genre d’imagerie, c’était bien avant seulement dans les années ‘90 », mais ce n’est pas vraiment ça qu’on a voulu faire. C’est plutôt un éloge de ce qui se passait avant et aujourd’hui c’est clairement d’actualité donc il fallait le faire et s’il y avait un groupe qui devait le faire c’est clairement Seth.

Ars Media Qc :
Vraiment! Même si on parle de laïcité, de désacralisation, n’empêche que même nous au Québec, avons trouvé ça horrible et triste. Une vraie tragédie. C’est un monument, une figure, on a eu la frousse pour vous.

Heimoth :
C’est sûr qu’à côté des twin towers, c’est peanuts.

Ars Media Qc :
Reste qu’au Québec, j’ai l’impression que nous sommes pas mal près des Européens que des Américains pour beaucoup de choses.

Heimoth :
Évidemment je plaisantais à moitié. C’est certain que la symbolique est totalement différente même si sur la forme il y a un parallèle évident.

Saint-Vincent :
Le parallèle, c’est vraiment l’aspect image qui résume un changement de paradigme, un changement de force. C’est ça. Les événements ne sont pas comparables. On me disait récemment « Oui y’a eu plein de morts dans un événement et dans l’autre y’a eu aucun mort, ce n’est pas comparable », mais je prétends que ce n’est pas sur le même plan. C’est dans l’idée et la symbolique que c’est comparable. C’est à savoir, encore une fois, un changement de force qui est symbolisé historiquement dans un évènement marquant et planétaire. Et c’est ce genre d’événement qui marque l’histoire.

Heimoth :
Ce qui est étonnant, c’est que par contre les deux évènements ont des points similaires : c’est une guerre de croyance et de foi dans les deux cas. Ça c’est intéressant à souligner aussi.

Crédit photo : Season of Mist

Ars Media Qc :
Il s’en est passé des choses depuis 2013, dont album live pour les 20 ans de blasphème. Comment vous y êtes-vous pris pour recruter pour ainsi dire vos nouveaux membres, comment ça s’est produit?

Heimoth :
Eh bien ça s’est produit assez simplement. On savait très bien que des membres tels Drakhian et Pierre le Pape ont toujours été fans des premiers albums de Seth et nous, on souhaitait clairement partir pour faire pas mal de grosses dates anniversaires des 20 ans de cet album-là et voilà c’était des amis à nous et on a pas dû trop insister pour qu’ils soient avec nous sur la route. Drakhian lui il a joué dans Loudblast pendant très longtemps, moi aussi un petit peu dans Loudblast pendant quelques dates donc on se connaissait très bien. Il jouait aussi précédemment avec Alsvid dans son groupe et puis Pierre le Pape on le connaissait aussi bien c’est un ami à nous, donc voilà c’est un peu la chaise musicale quoi.

Ars Media Qc :
Avez-vous donc tous collaboré à l’écriture de cet album?

Heimoth :
Pour l’écriture de l’album, essentiellement c’est moi qui écris la musique. Après c’est Saint-Vincent qui fait les paroles, mais voilà toutes les parties au synthé avec Pierre le Pape, c’est vraiment lui qui est derrière le synthé et toute l’orchestration.

Saint-Vincent :
Derrière les touches d’ivoire!

Ars Media Qc :
En jetant un œil à vos paroles, je me suis aperçue que vous composiez en alexandrins. D’où vous est venue l’idée ou du moins le challenge de composer ainsi?

Saint-Vincent :
Stop! On dit le défi! Ahhhh là je suis déçu des québécois, on dit le défi! (Rires)

Ars Media Qc :
(Rires) Ah mais bien sûr! J’improvise un peu mes questions donc c’est sorti ainsi, mais tu as raison, quel était le défi de composer ainsi?

Saint-Vincent :
(Rires) Ah mais évidemment je taquine, je plaisante! Alors en fait c’est simple, pour moi la suite des Blessures de l’Âme, tout comme la musique d’ailleurs, devait se nourrir de la tradition des Blessures de l’Âme tout en s’encrant dans une certaine modernité qui reflétait la maturité que l’on a acquise depuis en tant que musicien et qu’artiste globalement. Donc, j’ai repris les thématiques des Blessures de l’Âme, à savoir l’Hymne aux Vampires par exemple et plein de petits clins d’œil. Alors j’ai fait quelque chose de construit, j’espère que les gens vont trouver les petits clins d’œil cachés que j’ai mis par rapport à ça. Ensuite, derrière ça il fallait changer alors comme j’ai dit tout à l’heure, ce sont des jeunes hommes un peu naïfs, un peu fougueux, un peu jeunes et sans expérience qui ont écrit les paroles. Enfin, c’est d’ailleurs l’ancien chanteur qui écrivait les paroles et je me suis dit que maintenant vu que j’ai de l’expérience je vais changer le niveau. Pas que ce n’est pas du même niveau, ce n’est surtout pas pour rabaisser l’ancien chanteur, c’est juste que je suis plus âgé, j’ai plus d’expérience alors il faut que ça se sente premièrement. Deuxièmement, ce sont des paroles en français donc, nos amis québécois doivent comprendre qu’en fait, ce n’est pas comme des paroles en anglais. On est carrément face à face avec la culture de sa langue maternelle avec tous les auteurs qu’on a pu lire notamment les poètes, donc on compare toujours la qualité de ses paroles par rapport aux grands écrivains qu’on a lus et sans avoir la prétention de pouvoir arriver à leur niveau, ça nous impose quand même une certaine rigueur pour augmenter au maximum la qualité… donc j’ai donc commencé à écrire en alexandrins! C’était très dur au départ et je me suis dit : « Voilà c’est ce qu’il faut, c’est parfait. Là, c’est la meilleure façon de rendre hommage aux Blessures de l’Âme, de faire la suite » et en même temps d’inscrire l’album dans un hommage global, tout comme on a repris l’icône de Notre-Dame-de-Paris qui est un monument français, à la poésie française classique dans une modeste mesure. En plus, l’alexandrin apporte une beauté, une symétrie, un rythme naturel qui s’ancre dans quelque chose de beaucoup plus universel, de séduisant et de grandiose. Donc c’est une façon de pousser les paroles vers l’excellence. Voilà pourquoi les alexandrins ont été utilisés.

Ars Media Qc :
Oui et bien c’est très original et je vous en félicite. Ça ne doit pas toujours être évident. Est-ce arrivé parfois, dans une lancée créative, que vous ayez dû ajuster le tir en conséquence pour que ça convienne mieux au concept des alexandrins?

Saint-Vincent :
Tout à fait! Alors après il y a l’émotion artistique, l’élan artistique, la flamme qui jaillit du sol, mais le travail des bâtisseurs c’est de prendre la pierre brute et d’en faire un diamant taillé. Donc là le rôle des alexandrins entre en jeu. Tu vois, le diamant dans la cristallographie dans le sens de la matière et de l’ordonnance de la matière, ce sont des symétries, ce sont des faces, etc. Et là, pareil, dans les phrases qui viennent et dans toutes les émotions qui sont brutes, on taille des symétries, on taille des faces, donc douze pieds en alexandrins avec une césure au milieu avec parfois des rimes sur la césure alors c’est tout un travail d’orfèvre.

Heimoth :
Ce qui est d’ailleurs très intéressant c’est que maintenant qu’on a repris le français alors qu’on l’avait pas fait depuis 20 ans, ce qui fait qu’on était considérés un peu comme étant pionniers du black français, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’étrangers qui ne comprennent rien du tout au français cherchent à comprendre les paroles. Alors que si on renverse un peu la chose et qu’on s’était imaginé qu’on allait écrire en anglais, personne ne s’y serait intéressé. Donc en fait, la spécificité même qui, a priori décourageait certains groupes de ne pas chanter dans sa propre langue s’avère plutôt positive pour nous.

Ars Media Qc :
Très beau processus de conception! Vous proférez le blasphème depuis quoi 25 ans maintenant?! On vous considère un peu partout comme étant les pionniers du black métal français, comment vous sentez-vous face à cette mention ou peut-être même face à cette étiquette?

Heimoth :
Je pense qu’elle est d’autant plus légitime quand on vient de sortir un album comme celui-là, mais effectivement ça va bien par rapport au fait qu’on a repris les paroles en français et que voilà on est là depuis 25 ans maintenant. On a commencé en 1995. À l’époque il y avait peu de groupes de black métal et surtout encore moins qui chantaient en français, on pouvait les compter sur les doigts d’une main. C’était pour ne pas dire un challenge.

Ars Media Qc :
Attention, on dit « défi »! (Rires). En apprenant à vous connaître, il est évident que vous avez un souci d’esthétique et que vous accordez de l’importance à l’ambiance et au matériel scénique lors de vos prestations. Ça fait partie de vous évidemment, de vos critères. Pour vous, quels sont les critères qui vous font dire : oui, cet album est excellent, que ce soit dans votre processus de création ou chez d’autres artistes?

Heimoth :
C’est une question super dure que tu poses là! A priori j’ai envie de te dire qu’il n’y a pas de critères, que c’est juste le naturel qui te tombe dessus, tu ne comprends pas ce qui se passe, mais, concrètement, ça se passe pas comme ça. Évidemment entre musiciens tu n’agis pas comme ça donc voilà tu penses à la production, tu penses à l’atmosphère générale par rapport aux riffs, si l’artiste arrive à mettre en valeur son riff par rapport à une production très précise. Donc tout ça c’est complexe, mais bon voilà. Idéalement, je répondrais à ta question en disant que j’aime le beau. J’aime entendre quelque chose de beau et en black métal aussi une certaine agressivité et une identité. J’aime les groupes en fait qui ont une réelle identité. Donc ça passe par beaucoup de facteurs.

Saint-Vincent :
Pour ma part, j’ai la chance qui doit de temps en temps se transformer en défaut. J’arrive à faire totalement abstraction du fait que je suis musicien quand j’écoute un artiste, je veux vraiment m’oublier et que l’émotion vienne donc je suis très ouvert, c’est-à-dire que je veux de la conviction et de l’émotion. Donc je ne vais juger la production… Bah si, je le fais forcément à un moment ou à un autre surtout quand la magie n’a pas marché. Je peux regarder et dire « Oui mais bon, là il y a un problème avec la production » ou pas puisqu’il y a de très mauvaises productions, on le sait tous, surtout dans le black métal qui peut aussi avoir un effet très séduisant. Ça peut aussi être nos compréhensions du message ou pas, parce que des fois quelque chose de complètement diffus et bordélique peut avoir une certaine magie. Voilà c’est comme une sauce quoi. On mélange plein d’ingrédients. On oublie la matière, on oublie la musique et on rentre dans l’émotion pure et c’est à partir de ce moment-là que je me dis que c’est réussi.

Ars Media Qc :
Je ne suis pas de celles qui vous demanderont vos influences. C’est un peu démodé disons et surtout dans le black métal c’est un peu trop l’avis populaire…

Saint-Vincent :
En même temps, c’est très facile puisque notre influence c’est nous-mêmes.

Ars Media Qc :
En effet, tant mieux, mais j’aimerais savoir ce qui tourne comme musique chez vous cette semaine! Qu’écoutez-vous présentement juste pour le plaisir?

Heimoth :
Alors en ce moment je pense à certains groupes québécois comme Forteresse, je trouve qu’ils sonnent pas mal comme Seth. Je n’écoute pas trop non plus de black métal américain et puis évidemment je reste quand même accroché aux racines du groupe qui sont assez black métal scandinave en général. Donc voilà je pense que le fait qu’on ait réalisé un album qui sonnait années ’90 c’était possible pour essayer de réhabiliter l’image du black métal, non pas qu’on est fondamentalement nostalgique, mais s’il y a une évolution naturelle et que c’est bien vers une orientation un peu plus post et différente, je pense que c’est pas mal de ré-embellir le black métal de manière générale et que les gens, notamment les nouvelles générations, puissent comprendre comment c’était avant.

Saint-Vincent :
Pour ma part je peux écouter des choses très variées et parfois très contradictoires. Là le dernier truc que j’ai écouté, c’est Diamanda Galás que je n’ai pas écoutée depuis très longtemps. Donc je ne sais pas pourquoi je suis retombé dessus. Très vieil album de Diamanda Galás.

Ars Media Qc :
Votre album a été vendu en plusieurs éditions vinyles, plusieurs couleurs et éditions limitées. Cependant, ces éditions demeuraient quand même accessibles à tous les grands fans de ce monde. Que pensez-vous des artistes ou des groupes qui lancent des éditions en privé, en très peu de copies ou à des prix peu abordables?

Heimoth :
À des prix peu abordables, c’est-à-dire…? Tu veux dire des releases qui sortent environ 10 ou 15 copies et qui sont ultra chères?

Ars Media Qc :
Oui, parfois à des prix hors normes si on peut ainsi dire. On commence à en avoir un peu partout. Des artistes qui font des private releases et qui diffusent seulement 15 copies de leur nouvel album et donc les fans se l’arrachent au détriment de ceux qui n’ont pas pu cliquer sur un bouton à temps ou qui n’ont pas les moyens de surenchérir sur ce si petit nombre de copies.

Heimoth :
Alors très franchement je n’étais pas au courant de ça. C’est très certainement le capitalisme à l’américaine… Je n’ai pas eu vent de groupes qui sortent des CD comme nous ou vinyles à plutôt grande échelle et qui à coté vendent aussi des produits à 10 ou 15 exemplaires pour s’en faire plein les poches.

Saint-Vincent :
Tout comme toi Heimoth, je n’en connais pas. Je n’irais pas jusqu’à parler du capitalisme, mais je connais évidemment les groupes qui font des éditions limitées et je ne ferai pas de cachoteries, nous en faisons partie et je pense que c’est extrêmement sain dans la musique ou dans le black métal tout du moins puisque Seth s’opposait à cette dilution, cette avalanche, cette explosion nucléaire d’information qui fait qu’on a tout à disposition dans des quantités illimitées, cette netflixisation du monde où il suffit d’un bouton, de peu d’énergie pour avoir tout à sa disposition. Donc l’édition limitée se met en porte-à-faux de cette tendance qui détruit l’âme de la musique. Nous le savons d’autant plus Heimoth et moi-même qui avons grandi dans le black métal des années ’90 où il y avait le charme de la rareté, c’était quelque chose d’étrange, on avait très peu d’information au départ. On sait que des groupes faisaient des choses aussi folles que de se maquiller, d’être dans des concepts extrêmement lugubres, tout ça fait partie du charme original du black métal qui a disparu avec l’internet et la démocratisation des moyens d’enregistrement. Donc le fait de créer des albums ou des pièces rares c’est bien parce qu’on reprend goût à l’objet, on reprend goût à la rareté et on réapprend en fait la valeur. Après, par rapport à ce que tu nous as dit par exemple, c’est un peu à l’extrême. Après ça dépend, si c’est 50 euros l’album bon pourquoi pas? À quelque part si c’est 1000 euros quand tu en sors 15 et bien là je me dis que c’est effectivement très surprenant. Ça coûte combien ce genre d’album?

Ars Media Qc :
C’est assez varié. Ce qui en dérange plusieurs ou qui en fascine d’autres, c’est le fait que les exemplaires soient très peu nombreux. En fait je me demandais simplement quel était votre avis puisque ça existe, mais attention je ne suis pas en train de dire que les éditions limitées sont une mauvaise chose. Ce n’est pas un reproche, entendons-nous. Il y a en effet une différence entre ces private releases et les éditions limitées qui procurent beaucoup de joie aux collectionneurs et qui rejoignent ce que vous dites en termes de rareté, donc merci beaucoup!

Ensuite, j’étais de celles qui étaient présentes à la Messe des Morts 2018 où vous avez offert une excellente prestation. Comment avez-vous trouvé votre visite au Québec, du moins si vous avez eu le temps de le visiter un peu?

Heimoth :
Ah et bien nous on a adoré. De toute façon on adore toujours venir à Québec et au Québec en général. La dernière fois qu’on est venus à Québec c’était sur notre tournée à la sortie de notre album The Howling Spirit en 2015 je crois. C’était vraiment super sympa franchement. On espère vraiment revenir au Québec. Maintenant on y est allés 3 fois. On apprécie énormément venir jouer dans n’importe quelles conditions d’ailleurs donc voilà. Ce souvenir-là est excellent parce qu’effectivement la photo qui a servi pour la pochette de l’album live qui est sorti chez les acteurs de l’ombre a été prise à cet endroit-là.

Saint-Vincent :
On est extrêmement heureux. J’ai joint le groupe en 2013 et ensuite on s’est rendus au Canada, c’était vraiment génial, une expérience très forte. C’est la première fois que je venais au Canada et j’ai découvert Québec. C’était vraiment un excellent souvenir. D’ailleurs, je te donne une information un petit peu privilégiée, un petit scoop : quand j’ai appelé le morceau Métal Noir Métal noir, c’est un petit clin d’œil caché au Métal Noir Québécois J

Ars Media Qc :
Ahhhh voilà qui est bien! Alors maintenant, la question qui tue : chocolatine ou pain au chocolat?

Saint-Vincent :
Alors je ne suis pas certain de bien comprendre la question, j’imagine que tu parles de pain au chocolat?

Ars Media Qc :
J’aime bien poser la question à mes acolytes français puisqu’il semble qu’en France, vous dites presque tous pain au chocolat!

Heimoth :
Ah mais non Sarah! Y’a plein de régions françaises qui disent chocolatine et d’autres qui disent pain au chocolat. Si tu vas à Bordeaux, ils disent tous chocolatine alors quand je suis arrivée à Bordeaux quand j’avais 13 ans, moi je connaissais le pain au chocolat de Marseille et je me disais : « C’est quoi cette merde, c’est quoi ce nom, c’est naze », mais bon un classique c’est un classique quoi. Ce sont des guerres de régionalismes.

Saint-Vincent :
Et vous dites quoi au Québec?

Ars Media Qc :
Chocolatine!

Saint-Vincent :
Ah donc vous venez de Bordeaux alors! C’est intéressant parce que peut-être que les premiers québécois qui sont partis de la côte ouest de la France ou de ces régions-là disaient chocolatine et ce serait resté!

Heimoth :
Est-ce que vos chocolatines sont aussi bonnes?

Ars Media Qc :
Je vous dirais qu’on a d’excellentes boulangeries et pâtisseries ici! Bon la magie du beurre, on sait faire.

Saint-Vincent :
Alors on serait ravis de revenir parce qu’on a surtout le souvenir d’excellentes bières de microbrasserie chez vous, des meilleures poutines (et des mauvaises aussi!), mais je n’ai pas souvenir d’avoir mangé de ces fameuses chocolatines au Québec.

Heimoth :
Ouais et bien Sarah nous amènera dans une boulangerie quand on jouera au Québec.

Ars Media Qc :
Certainement! C’est promis! Mais bon, vous avez donc beaucoup voyagé et joué occasionnellement dans de grands festivals. Y a-t-il une destination où vous n’êtes pas encore allés où vous aimeriez jouer?

Saint-Vincent :
L’Amérique du Sud. On devait le faire, ça ne s’est pas fait et aussi le Japon. Le Japon, je ne sais pas si je peux le dire, mais on devait jouer là-bas et bon c’est tombé à l’eau avec tout ce qui s’est passé récemment. Ce sont les premières destinations qui me viennent à l’esprit. Après, partout!

Heimoth :
Effectivement, déjà quand on fera l’Amérique du Sud, ce sera vraiment super cool.

Saint-Vincent :
J’aime beaucoup l’Amérique du Sud, j’y suis allé plusieurs fois. J’ai un lien particulier avec cette région et super envie d’y retourner pour présenter la Morsure du Christ et puis, au risque de me répéter, mais on reviendra bien sûr au Québec.

Ars Media Qc :
On clôt avec Le Triomphe de Lucifer, dans quel sens? Est-ce plutôt du côté de l’ombre ou de la lumière? Lucifer, dans les références bibliques, est le porteur de lumière, le Lightbringer. Donc comment est-ce qu’on peut percevoir l’album quand on le termine avec cette pièce?

Saint-Vincent :
Alors c’est extrêmement intéressant et justement je voulais susciter une ambiguïté et donc je suis ravi que tu me poses cette question. Cette chanson, les paroles font un clin d’œil plus ou moins évident à Baudelaire comme d’autres morceaux déjà puisqu’on parlait de références à la poésie française. D’ailleurs c’est très amusant puisque j’écoutais cette semaine Diamanda Galás qui a fait un album qui s’appelle les Litanies de Satan. Or, Le Triomphe de Lucifer est inspiré, un hommage dans une certaine mesure aux Litanies de Satan de Baudelaire. À partir de là, qu’est-ce que Lucifer? Donc effectivement, l’album peut finir dans les ténèbres. Après l’incendie, qu’est-ce qu’il y a? Il y a de la fumée noire et il y a des cendres. Donc il a cette dualité ténèbres et lumière puisque Lucifer, étymologiquement c’est le porteur de lumière et quand on lit les paroles, que dit Lucifer? Il dit : « Je viens de l’infini tenant l’ardent tison ». Il vient, il a volé la flamme qui est l’illumination de la raison, de la rationalité qu’il a volée aux dieux infinis dans les galaxies noires, donc il y a toujours cette dualité entre la noirceur et révélée à l’être humain donc la lumière. Après, il s’adresse au cours des paroles comme dans les Litanies de Satan à l’humanité, à tous ceux qui se sentent en défaut par rapport à l’humanité pour divers vices ou malédictions et il leur apporte une voix, un pouvoir et une promesse de futur. Donc il y a un mélange de lumière de la raison et d’une certaine égalité et en même temps les ténèbres puisqu’il a volé ce pouvoir dans les ténèbres donc cette lumière est-ce qu’elle est vraiment positive? On ne le sait pas… et elle donne une force à des gens qui viennent des ténèbres. Donc il y a une dualité et j’aimerais, et ça me fait vraiment plaisir que tu poses cette question, que la question reste ouverte et que chaque auditeur se fasse sa propre opinion et se place par rapport à ça. C’est donc une question ouverte ET c’est le dernier morceau de l’album.

Ars Media Qc :
C’est bien! Ça laisse place à l’interprétation donc au fond il y a un petit peu de nous tous sur l’album!

Saint-Vincent :
Exactement, vous êtes tous sur notre album!

Ars Media Qc :
Et bien merci beaucoup messieurs d’avoir pris le temps de nous accorder cette entrevue. Le temps est très précieux et donc on apprécie énormément que vous ayez pris un moment pour nous. Ce sera un plaisir de vous accueillir au Québec lors de votre passage. Merci!

Saint-Vincent :
Merci à toi Sarah, très bonne entrevue!

Heimoth :
Merci à toi Sarah et lorsqu’on reviendra jouer, n’hésite pas à nous contacter!

Ars Media Qc :
Certainement, merci beaucoup!