Mise en bouche

J’aimerais soulever un sujet qui me tracasse depuis plusieurs années et sur lequel mon opinion, sans s’être modifiée du tout au tout, a évolué au fil du temps. Qu’il s’agisse d’albums cultes ou non, nous assistons depuis un bon moment à la mode des rééditions d’albums discontinués. Dans la mesure ou la réimpression était jadis une récompense pour l’artiste dont l’album obtenait un certain succès, il me semble qu’elle est maintenant quasi systématique même dans des milieux plus nichés comme la scène black metal. La question que je me pose est à la fois simple et complexe : à qui cherche-t-on à plaire avec toutes ces rééditions? Aux maisons de disques? Aux artistes? Aux disquaires? Aux fans?

Je suis d’avis, autant dans l’industrie de la pop que dans celle de la musique marginale, que c’est un mélange de ces éléments à divers pourcentages selon la popularité et la portée des groupes qui doivent influencer la décision de réimprimer un album ou non. Et disons-le franchement, la réimpression n’est pas mauvaise en soi puisque pour l’artiste, elle permet d’atteindre un plus large public et donc potentiellement de nouveaux fans. Là où le bât blesse à mon avis, ce sont les raisons qui motivent ces rééditions qui parfois, ne respectent en rien l’esprit de l’œuvre originale. Dans ce texte, j’aimerais porter votre attention sur trois procédés qui sont fréquemment utilisés par les compagnies pour s’assurer de vous vendre ces réimpressions, à savoir les versions bonifiées, la remasterisation et le remixage.


Pourquoi le mainstream est hors-circuit

Éliminons d’entrée de jeu la musique grand public de l’équation. Personne ne peut nier les profonds changements auxquels l’industrie mainstream a dû s’adapter dans les dernières décennies et force est d’admettre que le vieux modèle de la grosse chaîne alimentaire musicale n’a pratiquement rien sacrifié de son canevas de base impliquant trop d’acteurs ayant toujours de plus en plus faim. Même si je ne remets pas en doute la passion des gens bourrés de bonnes intentions qui y travaillent, le modèle de la machine pop a faim et nécessite une créativité sans fin pour ramener de l’argent dans les coffres.

Parce qu’il ne faut pas perdre de vue que l’expression showbusiness est composée de deux mots. Oui, il y a le show, mais il y a aussi le terme business. Les contrats de ces artistes sont souvent très contraignants parce que peu d’entre eux ont l’envergure pour imposer leur volonté aux maisons de disques dites majeures. Céder leur droit de veto et leurs droits sur l’œuvre fait notamment partie du ‘compromis’ pour faire partie de la cour des grands. Dès lors, ces artistes n’ont plus le contrôle de leur production artistique. Ce qui implique qu’avec l’aval ou non du créateur, autant les remasterisations que les remixages sont de bonnes raisons pour sortir des réimpressions pour nourrir la machine. Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas y ajouter des bonus tracks dans un boxset collectionneur trop cher, le tout imprimé à quelques milliers de copies sur un carton cheap? Pour ceux qui pensent que j’exagère, je vous invite à lire le texte de mon collègue Michel Perron à ce sujet. Mais dans le milieu qui nous intéresse, celui de la musique marginale, qu’en est-il?


De la réédition en soi

La question n’est pas de savoir si la réédition est quelque chose de positif ou non puisqu’elle est une réalité inévitable. Je crois que dans ce contexte, l’artisan est mieux de négocier lui-même les termes de la reparution avec la maison de disque de son choix plutôt que de subir éventuellement le vol de sa propriété intellectuelle sur son œuvre par un producteur de bootlegs caché derrière une boîte postale dans un pays obscur. De plus, il est important d’ajouter que ces bootleggers produisent des objets de mauvaise facture sans l’autorisation des groupes. En vendant leur cochonnerie cheap, ils nuisent à l’image du groupe en tant qu’entité et parfois même à titre de compagnie. Parce que oui, certains groupes renommés sont enregistrés comme des compagnies avec des employés et des salaires… Sachant ces faits, il me semble logique que l’artiste ait son mot à dire dans le processus.

Du contenant

Qui dit réédition dit aussi versions bonifiées offertes dans tous les formats et toutes les couleurs inimaginables. Ces items trouveront toujours preneurs auprès des collectionneurs et c’est pour ça qu’il s’en produit autant. Cette réalité implique assurément des différences entre les versions originales et récentes. À titre d’exemple, dans le cas des collaborations avec des illustrateurs renommés, il peut arriver qu’il soit impossible d’offrir la réédition avec le même travail graphique que dans la première version en raison du contrat et des droits d’auteurs. Dans ce cas, il faut renégocier avec l’artiste ou carrément refaire le travail graphique en entier avec quelqu’un d’autre.

Les coûts engendrés par une telle démarche sont conséquents pour une maison de disques et nécessairement, la compagnie demandera une valeur ajoutée à offrir à l’auditeur. C’est un compromis qui fait partie du jeu. Le groupe fournit du matériel supplémentaire à la compagnie qui elle, prend le risque financier de rester collée avec un album déjà écoulé à plusieurs milliers de copies dans certains cas… Plus le matériel additionnel est intéressant et inédit, plus les chances d’écouler la nouvelle édition sont grandes. C’est là qu’entrent en compte les bonus tracks, les chansons captées en concert ou les versions demo qui suivent habituellement l’œuvre originale, qu’elle soit retravaillée ou non. Que les pièces supplémentaires détonnent du lot, personne n’en tient rigueur. C’est justement du contenu bonus et ça ne fait qu’accroître ce petit côté spécial que d’avoir une variante de son différente.


Du (re)travail du contenu sonore

Avant de parler de remixage et de remasterisation, il faut d’abord savoir ce qu’est le mixage et la masterisation. Dans une volonté de rester compréhensible pour les néophytes du son qui pourraient lire ces lignes et sans entrer dans les fins détails parce que je n’ai pas la prétention d’être soundman, je résumerais ces deux éléments avec l’analogie culinaire suivante : le mixage est l’équivalent du dosage des ingrédients de la recette tandis que la masterisation est le goût du gâteau final et sa présentation esthétique. En d’autres termes, c’est au mixage qu’on joue avec le dosage des divers éléments de chaque pièces de sorte à faire ressortir tel ou tel autre instrument plus qu’un autre. À titre d’exemple, on ajoute une piste indépendante pour le solo de guitare qui sera légèrement plus forte que les guitares rythmiques.

La masterisation est plutôt la facture sonore finale, l’ambiance qui se dégage lors de l’écoute de l’album en entier. C’est aussi l’étape qui permet de stabiliser le volume entre les pièces de sortes que vous ne passez pas votre temps à jouer avec le potentiomètre de votre appareil entre chaque chanson. C’est donc la ligne maitresse du son général de l’opus. Ce résultat final qu’on presse sur la galette, est le résultat des choix qui ont été faits en studio. Des décisions de l’artiste et des ingénieurs de son impliqués lors de la production originale et c’est précisément là que j’ai un problème avec certaines rééditions.


Du couperet

Au fait de ces informations, il est maintenant temps de se positionner. Comme j’ai mentionné précédemment, je suis persuadé que ça ne sert à rien de se battre contre les rééditions puisqu’elles sont inévitables et bien que je sois pour la remasterisation de certaines parutions en raison du contexte technologique historique de leur production, je dois dire que je suis catégoriquement contre le fait d’entièrement remixer des albums déjà parus.

Certains albums datent d’aussi loin que les moyens technologiques et les supports sur lesquels leurs opus ont été produits et conservés. Il va de soi que la qualité sonore d’un album paru en 1977 comporte certains défauts comme des crépitements, des hiss ou des bruits de fond qu’il est maintenant possible de supprimer facilement avec un logiciel de sonorisation de base, gratuit et disponible en ligne. Ajoutons que personne ne se plaindra de ne pas être obligé de mettre le potentiomètre de son appareil au fond pour entendre à un volume décent, mais en ce qui concerne le mixage, c’est une autre histoire.

Je me plais souvent à dire qu’un album est une photographie sonore d’un moment précis de la vie des musiciens qui y contribuent. Outre la méthode traditionnelle de se produire sur scène, l’enregistrement d’un opus est un rite de passage auquel chaque compositeur-interprète doit nécessairement se soumettre à un moment donné dans sa carrière s’il veut conserver une trace de son travail.

Ceux qui sont passés par ce rite de passage savent de quoi je parle. C’est un processus long et douloureux quand on prend la démarche au sérieux. C’est un exercice qui demande de la minutie, de la patience et de la dévotion parce qu’il faut maintes et maintes fois remettre son ouvrage sur le métier. Et une fois l’enregistrement terminé, il y a toute la phase de post-production qui elle aussi, influence la réalité du moment.

Le choix de la disposition des instruments dans le mixage, le son de chaque instrument distinctement ou des divers morceaux de la batterie, le fait de laisser volontairement (ou non) une erreur ou un passage plus flottant, sont autant d’exemples de choix qui sont pris sur le vif et qui témoignent de la démarche artistique des gens impliqués à ce moment précis. Le fait d’être un one-man band ou un collectif de compositeurs, d’avoir recours à un producteur ou non, sont des éléments qui influencent également la direction musicale et ce sont ces choix qui se retrouvent gravés sur un support pour être enfin vendus aux fans qui l’achèteront dès sa sortie.

Quand je réfléchis aux formations qui tombent dans la mode des remixages en profondeur de leurs albums passés, je n’ai d’autre choix que de penser que c’est l’égo qui guide une telle décision. L’humain est un animal naturellement programmé pour être insatisfait et par conséquent, je ne connais aucun musicien qui ne voudrait pas modifier un iota de son travail pour améliorer tel ou tel élément si c’était à refaire. Certes les années passent, les compromis d’antan peuvent paraître aujourd’hui futiles, qu’importe les raisons… La satisfaction pleine et entière n’existe pas.


En guise de conclusion

Je crois qu’il est préférable de réenregistrer complètement un album avec un son plus moderne et de le présenter ainsi aux fans plutôt que de travestir le passé en remixant le son d’une production originale. J’y vois quelque chose comme une volonté de masquer une partie de cette photographie sonore du passé et je trouve que c’est un profond manque de respect pour les fans qui se sont intéressés au groupe dès ses balbutiements avec sa sonorité originale. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les formations norvégiennes Dimmu Borgir et Gorgoroth. La première ayant publié en 2005 une version réenregistrée de son album classique Stormblåst initialement paru en 1996. Tandis que la deuxième sortait en 2011, une version réenregistrée de son œuvre culte Under the sign of Hell paru pour sa part en 1997. Après lecture de ces lignes, je crois que vous devinerez assez aisément lesquelles de ces versions je me plais encore à écouter…