Pour les groupes qui comptent plusieurs rainures à leur gourdin, il peut parfois sembler périlleux de se réinventer. Après tout, l’humain est une bibitte lâche qui aime se vautrer dans la facilité. Pourquoi prendre le risque de se réinventer quand la poutine habituelle fait son chemin et que les gens en redemandent?

Lorsqu’un projet débute, ce sont les bases qui sont mises en place, puisque tout est à construire. Puis, au fil des parutions, un choix s’impose à moyen terme, soit augmenter le rythme et l’intensité, donner plus de mordant au projet initial ou carrément prendre une autre direction et explorer de nouvelles avenues. Je suis généralement des puristes qui préfèrent la première option et je suis d’avis que la seconde option devrait habituellement s’accompagner d’un changement de nom du projet afin d’éviter de ternir le « legacy » dudit projet. Cela dit, il y a parfois des exceptions.

Dans le cas de Tribulation, ce virage s’est amorcé en 2015 avec la sortie de The Children of the Night. Déjà, les nostalgiques de The Horror et The Formulas of Death en avaient à redire sur cette décision, mais personnellement, je trouve que la transition avait été amorcée avec tact et méthode. S’en est suivi la sortie de Down Below en janvier 2018, un album que j’ai adoré et écouté à multiples reprises depuis. Avec cet album, le groupe assumait déjà pleinement sa nouvelle direction, jonglant avec la maitrise des ambiances glauques et les clins d’œil au rock mélodique voire épique. 

Avec l’annonce de la parution de Where the Gloom Becomes Sound en date du 29 janvier, je dois avouer que j’attendais ce nouvel opus de pied ferme. Puis, sont apparues sur mon Spotify, les trois premiers extraits Hour of the Wolf, Leviathans et Funeral Pyre. Le son des guitares, la qualité des riffs et la voix de Johannes Andersson sont trois éléments que j’apprécie habituellement du groupe et, une fois de plus, je n’ai pas été déçu. Après avoir abusé de nombreuses écoutes et discuté avec un ami, lui aussi amateur du groupe, nous n’avons pas pu nous empêcher de se demander si le groupe ne nous avait pas déjà balancé ses 3 meilleures pièces. Devions-nous nous attendre à un pétard mouillé ou au contraire, on en prendrait plein la gueule avec l’album complet?

Puisque vous avez vous aussi des oreilles, je ne commencerai pas à mentionner chaque pièce et mes appréciations particulières. Néanmoins, je me permets de souligner ici quelques points sur lesquels j’ai cliqué en portant une attention particulière lors de mes écoutes.

L’une des forces de cet album est son mélange à la fois de rock goth et de doom metal, hybride qui rend le produit final accessible au grand public. Si le rock se ressent dans les pièces Leviathans, Funeral Pyre, Elementals ou Daughter of the Djinn, les titres Dirge of a Dying Soul ou Inanna témoignent assurément quant à eux de cette influence doom metal qui apporte une pesanteur aux riffs de base somme toute assez « pop », notamment en raison des patterns de batterie.

Les musiciens sont de bons instrumentistes qui, bien qu’ils mettent la mélodicité en avant plan dans les arrangements, ne beurrent pas plus que le client en demande juste pour épater la galerie. Les solos sont magistralement bien intégrés aux pistes et servent surtout à apporter un plus value mélodique aux titres plutôt que de mettre le projecteur sur l’instrumentiste qui malmène son instrument. De plus, la production de l’album est intéressante. Notamment l’utilisation d’effets sur les guitares qui sont utilisés avec modération et dans des moments clés de l’album, je pense ici plus particulièrement à la section précédant le solo de Daughter of the Djinn.

Mention spéciale à la pièce Hour of the Wolf qui est assurément l’une des pièces phares de l’album. Les guitares en arpèges sont claires et brillantes, la batterie très carrée, sur les temps, on entend bien les accents rythmiques. S’ajoutent en finale de courts accords plaqués au piano, instrument qui revient faire son tour au fil de l’album, notamment dans l’interlude Lethe qui laisse transpirer toute la gothitude qui fait office d’aura au sombre projet.

Malgré mon appréciation générale de l’œuvre, j’ai quelques bémols à apporter. L’agencement des riffs de guitares avec les patterns de batterie est parfois trop rock à mon goût. Le jeu de batterie est très carré, assied sur le temps, les chops de snare sont franches et le batteur utilise beaucoup les accents rythmiques au lieu de proposer un jeu plus métal qui aurait habituellement tendance à « flotter » sur les mélodies plutôt que de les clouer avec vigueur sur le temps. De plus, puisque ma copie physique n’est pas arrivée, je n’ai pu me documenter ni explorer la pochette qui, au premier coup d’œil, ne reflète ni la musique, ni l’imagerie mise en valeur par le groupe jusqu’à maintenant dans sa carrière. Oui, ce détail m’a accroché parce que je ne suis pas de ceux qui pensent que « c’est juste une pochette ». L’image qu’un groupe dégage a une importance cruciale en lien avec son contenu, mais je me réserve ce sujet pour une publication future.

Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas ces légers détails qui m’auront empêché d’écouter ce nouvel opus plusieurs dizaines de fois jusqu’à maintenant sans m’en lasser. Je sais que l’année est encore jeune et que c’est risqué de se mouiller aussi tôt, mais je peux déjà prédire que cet album figurera assurément dans mon top 10 de 2021. Rares sont les albums qui mettent la barre aussi haute et Where the Gloom Becomes Sounds est le genre d’album qui se fait une seule fois dans la carrière d’un groupe. Je vois mal comment plus d’une dizaine de groupes, même à l’international, pourraient rivaliser avec cette qualité, du moins dans ce style qui leur sied si bien! 

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